Abordage survenu le 18 août 2001 sur l'aérodrome de Propriano (2A) entre le Cessna F 177 RG immatriculé F-BVIY et le Cessna 182 E immatriculé F-BKRA |
| f-iy010818 |
AVERTISSEMENT
Ce rapport exprime les conclusions du BEA sur les circonstances et les causes de cet accident
Conformément à l'Annexe 13 à la Convention relative à l'aviation civile internationale, à la Directive 94/56/CE et à la Loi n° 99-243 du 29 mars 1999, l'enquête technique n'est pas conduite de façon à établir des fautes ou à évaluer des responsabilités individuelles ou collectives.Son seul objectif est de tirer de l'événement des enseignements susceptibles de prévenir de futurs accidents.
En conséquence, l'utilisation de ce rapport à d'autres fins que la prévention pourrait conduire à des interprétations erronées.
SYNOPSIS
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Date de l'incident
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Aéronefs |
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Samedi 18 août 2001 à 7 h 40 [1] |
(1) - Cessna F 177 RG, immatriculé F-BVIY |
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Lieu de l'incident |
Propriétaires |
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Aérodrome de Propriano (2A) |
(1) - CAPAM [2] |
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Nature des vols |
Exploitants
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1 - Voyage 2 - Largage de parachutisme |
(1) - CAPAM (2) - Ecole de parachutisme du Valinco |
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Personnes à bord |
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(1) - 1 pilote, 3 passagers (2) - 1 pilote, 3 parachutistes |
Conséquences :
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Personnes |
Matériel |
Tiers |
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| Tué(s) |
Blessé(s) |
Indemne(s) |
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| Equipage |
néant |
néant |
1 - 1 |
léger |
néant |
| Passagers |
néant |
néant |
3 - 3 |
légers |
1 - RENSEIGNEMENTS DE BASE
1.1 Déroulement des vols
Le 18 août 2001, peu avant 7 h 40, le pilote du Cessna F 177 RG immatriculé F-BVIY remonte la piste 28 de Propriano pour un vol à destination du Castellet, après avoir signalé ses intentions sur la fréquence d'auto-information 118,5 MHz. A l'issue des essais moteurs qu'il effectue sur la raquette en bout de piste, il annonce à la radio qu'il s'aligne et décolle sur la piste 28.
En pleine phase d'accélération, il aperçoit le Cessna 182 E immatriculé F-BKRA qui roule sur le taxiway vers la piste. Il entend son pilote annoncer son alignement et son décollage en 28 puis le voit s'engager sur la piste sans s'immobiliser au point d'arrêt.
Lancé dans sa course de décollage, le pilote du F-BVIY effectue une manoeuvre d'évitement en déviant sa trajectoire vers la droite à l'aide du palonnier et en inclinant simultanément l'avion à droite. L'aile gauche passe au-dessus de l'aile droite du Cessna 182. Il poursuit son décollage, constate un endommagement du tube pitot situé sous l'aile gauche, effectue un tour de piste et se pose avec précaution.
Le pilote du F-BKRA effectue un demi-tour, rentre au parking et constate des dommages au saumon d'aile et à la voilure.
1.2 Dommages aux aéronefs
L'image ci-dessous montre les dommages subis par le F-BVIY. Les dégâts se résument au tube pitot qui a subi une flexion importante vers l'arrière et à son environnement immédiat.
Le F-BKRA présente des dommages un peu plus importants en bout d'aile : chocs, traces de frottement, destruction du feu de position. Le saumon a été retiré volontairement du bout d'aile pour évaluer les dégâts.

Détail du saumon d'aile

Vue de l'aile gauche
Les deux aéronefs sont dotés d'une voilure haute ; celle du C 177 RG, légèrement plus basse que celle du C 182 E, est dépourvue de haubans. Sur la vue de droite, les traces relevées sur l'extrados du saumon permettent d'évaluer l'angle entre les trajectoires des deux aéronefs au moment du choc.
1.3 Renseignements sur le personnel
1.3.1 Pilote du F-BVIY
Homme, 52 ans, brevet de pilote privé de 1983, licence valide jusqu'au 31 octobre 2002, certificat médical du 29 août 2000, 308 heures de vol dont 32 sur type et quatre, toutes sur type, dans le mois précédent.
Le pilote était équipé d'un casque pour les communications radiophoniques, de même que le passager en place droite, également pilote privé, qui assurait les communications.
1.3.2 Pilote du F-BKRA
Homme, 75 ans, brevet de pilote privé de 1962, autorisation de parachutage de 1962, licence validée jusqu'au 24 janvier 2002, 4 900 heures de vol dont environ 2 000 sur type et 36 toutes sur type dans le mois précédent. On peut noter plus précisément dix-sept heures effectuées dans les sept jours précédents dont 4 h 10 min la veille de l'accident.
Le pilote a produit un certificat médical en date du 15 janvier 2001, délivré(sous une forme qui n'était plus en vigueur) par un médecin qui ne possédait plus d'agrément aéronautique depuis le 30 avril 2000. Le pilote avait l'habitude de consulter ce médecin depuis de nombreuses années.
Cette situation rendait sa licence invalide au moment des faits. Désireux de poursuivre son activité aérienne, il a passé, le 3 septembre 2001, une visite médicale chez un médecin agréé qui l' a déclaré apte sous réserve de correction optique. Aucun trouble de l'audition n'a été relevé.
Lors de l'accident, le pilote assurait les communications au casque avec l'oreille droite dégagée afin de pouvoir également écouter les parachutistes montés à bord.
Bien qu'il n'ait pas fait l'objet d'une procédure d'infraction, ce pilote avait déjà reçu une mise en garde récente et appuyée de l'Aviation Civile pour un comportement imprudent dans la conduite d'un avion. De plus, la veille de l'accident, il avait été impliqué dans un incident similaire avec un autre équipage non basé. Celui-ci, informé de l'abordage, a fait une déposition spontanée auprès de la Gendarmerie des Transports Aériens. Le F-BKRA lui avait brûlé la priorité au décollage alors qu'il était aligné en piste 28. Un dialogue entre les pilotes avait cette fois permis de résoudre le problème.
Le pilote est également président de l'école de parachutisme du Valinco, association propriétaire de l'avion. Faute de vocations, il y assure plusieurs fonctions : chef pilote, pilote largueur parmi les quatre autorisés, comptabilité de l'association, etc.
1.4 Renseignements sur le matériel
L'enquête a montré que les deux aéronefs étaient certifiés et entretenus conformément à la réglementation en vigueur. En particulier, aucune intervention récente ou anomalie des équipements de radiocommunication susceptible d'avoir contribué à l'accident n'a été observée.Le F-BKRA, vendu le 26 juin 2001, était en cours de transfert de propriété.
Le Cessna 182 E, immatriculé F-BKRA

Le Cessna F 177 RG, immatriculé F-BVIY
1.5 Renseignements météorologiques
L'aérodrome de Propriano n'est pas doté d'une station météorologique. La station la plus proche est celle de l'aérodrome d'Ajaccio-Campo dell'Oro, à environ trente kilomètres.
METAR de 7 h 30 : vent 260°/2 kt, visibilité supérieure à dix kilomètres, nuages fragmentés à 2 600 pieds, température 27 °C, QNH 1014 hPa.
METAR de 8 h 00 : vent 270°/4 kt, visibilité supérieure à dix kilomètres, nuages fragmentés à 3 000 pieds, température 27 °C, QNH 1014 hPa.
A l'heure de l'accident, la position élevée du soleil dans le ciel ne pouvait pas gêner la vue des pilotes.
1.6 Renseignements sur l'aérodrome
Propriano est un aérodrome civil non contrôlé ouvert à la circulation aérienne publique. Il dispose d'une piste de 1 400 mètres de long par 30 mètres de large, orientée est-ouest (10/28) en bord de mer et d'un taxiway unique perpendiculaire, situé à environ 330 mètres du seuil de piste 28, qui rejoint une aire de stationnement. Il ne dispose ni de moyens de radionavigation ni de procédure d'approche aux instruments.

Sur le taxiway, une position d'arrêt est matérialisée par une bande blanche peinte au sol à une distance d'environ cinquante mètres de l'axe de piste.

La piste ne présente aucune déclivité ni obstacle entre le point d'arrêt et le seuil de piste 28. La visibilité vers la raquette et le seuil est bonne depuis la marque d'arrêt du taxiway, comme le montre la photo ci-contre,
Une fréquence d'auto-information (118,5 MHz) est attribuée. Les radio-communications ne sont pas enregistrées.
Un service AFIS était rendu jusqu'en 1996. Il a été supprimé à la demande de la DGAC, en raison de la défaillance des moyens techniques (endommagement des équipements de mesure de vent et de pression atmosphérique) et humains (manque de disponibilité et de continuité du service). Un agent municipal assure l'exploitation aéroportuaire pour le compte de la mairie, propriétaire et exploitant de la plate-forme. Il perçoit les redevances et délivre l'essence.
La fréquentation de l'aérodrome de Propriano par des aéronefs venus de l'extérieur connaît une forte augmentation durant les mois d'été. L'observation du comportement de ces pilotes permet de dire qu'ils sont généralement respectueux des procédures d'intégration sur cet aérodrome qu'ils ne connaissent pas.
En revanche, certains pilotes basés ou habitués ne respecteraient pas rigoureusement les procédures réglementaires d'utilisation de l'aérodrome. En septembre 1995, à la suite de fortes dérives constatées durant l'été, un rappel à l'ordre avait été adressé par le District Aéronautique de Corse aux principaux utilisateurs de la plate-forme.
2 - RENSEIGNEMENTS COMPLEMENTAIRES
2.1 Largage de parachutistes
La description ci-après du déroulement habituel d'un vol de largage de parachutistes à Propriano a été établie à partir des informations recueillies auprès du pilote du F-BKRA.
Le vol s'effectue avec les pleins partiels en carburant. L'aéronef est stationné dans le parking en herbe jouxtant le hangar. Après la visite prévol et avoir enfilé son parachute, le pilote met en route. Il roule jusqu'au point d'embarquement des parachutistes situé sur le parking en dur, en raison de la présence d'ornières dans l'herbe. Il annonce alors « alignement, décollage immédiat sur la 28 à partir de l'intersection » de façon quasi rituelle.
L'avion pénètre sur la piste et décolle en trois cents mètres environ ; il prend de l'altitude dans l'axe. Le pilote contacte l'organisme de contrôle d'Ajaccio au passage des deux mille pieds pour obtenir l'autorisation de monter au niveau 95. S'il n'y a pas de trafic IFR en arrivée sur Figari, il poursuit sa montée en spirale dans le golfe du Valinco, sinon il prend de l'altitude suivant les instructions, en général un cap vers l'est pour se dégager de la trajectoire d'arrivée IFR.
A l'approche de l'altitude et du point de largage, il annonce sur la fréquence de Propriano qu'il est à trois minutes du largage puis à deux minutes. L'accord du largage est donné par Ajaccio. Le largage est réalisé, au cap 280°, à vitesse réduite 85 kt, sur l'ordre du pilote qui annonce « axe ».
Une fois le largage terminé, le pilote annonce à Ajaccio la fin du largage, se met en descente (deux mille pieds/min) sur la mer, se reporte en vent arrière pour la 28 à mille pieds. Il annonce le vent arrière « travers installation », l'étape de base puis la finale. Le poser est court pour dégager au taxiway.
Le temps de vol est estimé à vingt minutes pour un largage à deux mille pieds et vingt-cinq minutes pour trois mille pieds. Pour les parachutistes, le coût du largage est forfaitaire en fonction de l'altitude de saut.
2.2 Rappels réglementaires
2.2.1 Règles de l'air (RCA1)
2.2.1.1 Règles générales
Un aéronef ne doit pas être conduit de façon négligente ou imprudente pouvant entraîner un risque pour la vie ou les biens des tiers.
La vigilance visuelle ne doit pas être relâchée à bord des aéronefs en vol ou en évolution au sol ou sur l'eau afin d'éviter un abordage avec un autre aéronef ou une collision avec un obstacle, un véhicule ou une personne sur l'aire de mouvement.
En matière de priorité au décollage on peut également noter qu'un aéronef qui circule sur l'aire de manoeuvre d'un aérodrome doit céder le passage aux aéronefs qui décollent ou sont sur le point de décoller.
2.2.1.2 Textes d'applications
L'arrêté du 17 juillet 1992 relatif aux procédures générales de circulation aérienne pour l'utilisation des aérodromes précise dans son annexe 1 au paragraphe se rapportant aux dispositions relatives aux procédures de radiocommunications sur un aérodrome non contrôlé que :
Le pilote commandant de bord d'un aéronef doté de l'équipement de radio communication doit transmettre des comptes-rendus de position, indiquer ses intentions et transmettre toutes modifications ultérieures à l'organisme AFIS ou, à défaut, en auto-information. Au départ : sur l'aire de trafic avant de se déplacer, au point d'arrêt avant de pénétrer sur une piste, une fois aligné avant de décoller et lorsqu'il quitte la circulation d'aérodrome.
2.2.2 Arrêté FCL1 du 23 novembre 2000
Dans l'article FCL 1.025 relatif à la validité des licences et qualifications, il est indiqué que la validité d'une licence est déterminée par la validité des qualifications qu'elle contient et du certificat médical.
L'article FCL 1.035 relatif à l'aptitude physique et mentale précise que :
2.3 Témoignages
Le pilote du F-BVIY a indiqué avoir effectué les messages radio réglementaires. Il a effectué les essais moteurs sur la raquette pour prendre en compte le risque de souffler, depuis le point d'arrêt, les nombreux avions présents sur le parking ou le hangar du club de parachutisme. Cette méthode lui avait été montrée lors de sa formation et il en a gardé l'habitude.
Il a entendu le pilote du F-BKRA annoncer son intention d'alignement et de décollage et a alors observé qu'il ne s'arrêtait pas sur la taxiway. Lorsque ce dernier a pénétré sur la piste, son avion était en pleine course au décollage, il n'avait plus le temps de lancer un appel à la radio, sa seule possibilité était de tenter une manoeuvre d'évitement. Le passage de son aile gauche au-dessus de l'aile droite de l'autre avion a peut-être fourni une impulsion supplémentaire qui a favorisé l'envol du F-BVIY alors que celui-ci atteignait une vitesse proche de celle de décollage.
Le pilote du F-BKRA a indiqué avoir mis en route sur l'aire de stationnement en herbe. Il a annoncé son début de roulage et s'est arrêté avant le taxiway pour embarquer les parachutistes. Il a ensuite annoncé son alignement et décollage immédiat depuis l'intersection de piste. N'ayant reçu aucune réponse à ses messages radio, il n'a pas marqué d'arrêt au niveau de la bande blanche sur le taxiway. Il a été heurté par un avion de type C 177 alors qu'il mettait les gaz pour décoller.
3 - ANALYSE
L'école de parachutisme du Valinco connaît une activité régulière tout au long de l'année alors que le tourisme amène une forte augmentation du trafic sur la plate-forme durant les mois d'été. Les vols de largage de parachutistes sont des vols répétitifs. Dans ce contexte, l'habitude qui consiste à annoncer l'intention d'alignement et de décollage depuis l'intersection, suivie de l'action immédiate de façon quasi rituelle, est une dérive dangereuse.
Qui plus est, il est fort probable que le système de facturation forfaitaire des sauts incitait le pilote du F-BKRA, fortement impliqué dans la gestion opérationnelle et financière de l'association, à minimiser le temps de vol et en particulier à raccourcir les trajectoires au sol et en vol.
Ainsi que l'atteste son expérience récente, ce pilote avait eu une activité soutenue les jours précédents et notamment la veille de l'accident. La fatigue qu'il a pu ainsi accumuler sans en être conscient et son âge sont de nature à avoir émoussé sa vigilance. Celle-ci a d'ailleurs été prise en défaut par deux fois en quarante-huit heures. Ces deux événements ont montré clairement qu'il ne s'assurait pas visuellement de la présence d'autres avions sur la piste ou en approche finale alors que la visibilité est excellente depuis la bretelle d'accès en direction du seuil de piste 28. Quant à non écoute de la fréquence, elle a pu être affectée de différentes façons lors de l'embarquement des parachutistes (accroissement du niveau de bruit, discussion, échange de consignes, etc.). Ainsi, il a pu ne pas percevoir le l'avion qui annonçait son décollage. La suite était alors logique puisque l'annonce et l'action quasi simultanée d'alignement ne donnait pas au pilote du F-BVIY le temps d'émettre un message de mise en garde.
Dans le cas présent, les conditions de visibilité et les annonces radio des deux avions auraient dû permettre aux deux pilotes de s'entendre et de se voir. Cela n'a été le cas que par le pilote du F-BVIY, et à un moment où sa capacité d'action était des plus réduite, mais cela a permis de limiter les conséquences de l'événement.
4 - CONCLUSIONS
4.1 Faits établis par l'enquête
Le pilote du F-BVIY disposait des brevets, licences et qualifications requises. La licence du pilote du F-BKRA n'était pas valide du fait de la non-conformité de son certificat médical.4.2 Cause
L'accident résulte d'un défaut de vigilance de la part du pilote du F-BKRA.
Les habitudes prises à cause du caractère répétitif des vols de largage ont fortement contribué à la situation.
5 - RECOMMANDATION DE SECURITE
L'enquête a montré que la forte activité saisonnière de l'aérodrome de Propriano favorise l'occurrence d'incidents. Certains aérodromes côtiers ou altiports, dont l'activité présente un caractère similaire, ont adopté un mode de fonctionnement du service AFIS adapté à cette situation. En conséquence le BEA recommande que :
[1] Sauf précision contraire, les heures figurant dans ce rapport sont exprimées en temps universel coordonné (UTC). Il convient d'y ajouter deux heures pour obtenir l'heure en vigueur en France métropolitaine le jour de l'événement.
[2] Cercle aéronautique des personnels de l'aéroport de Bordeaux Mérignac