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Collision avec la végétation puis le sol en finale, de nuit

Collision avec la végétation puis le sol en finale, de nuit

Responsible entity

France - BEA

Investigation progression Closed
Progress: 100%

1 - Déroulement du vol

Le pilote décolle à 20 h 03(2) de la piste 10(3) de l’aérodrome de Persan Beaumont pour une navigation d’environ 12 NM à destination de Pontoise (95) en VFR de nuit. Sept minutes plus tard, le pilote annonce sur la fréquence d’auto-information qu’il a annulé son vol à destination de Pontoise en raison « d’un problème de GPS » et qu’il est de retour en finale pour des posés-décollés en piste 10. Il annonce à 20 h 12 qu’il « remet les gaz », puis à 20 h 16 qu’il est « en finale pour la piste 10 ». L’aéronef est retrouvé dans un champ à 585 mètres en amont du seuil décalé de la piste.

2 - Renseignements complémentaires

2.1 Renseignements sur le site

L’examen du site montre que l’avion a heurté avec l’aile droite un bosquet isolé situé à environ 660 m du seuil décalé. Les traces observées montrent que l’aéronef a heurté la végétation à une hauteur d’environ 5 m selon une trajectoire en légère descente, avec une inclinaison sensiblement nulle.

L’arbre heurté par l’avion se situe en dehors de la trouée d’atterrissage(4) de la piste 10.

 

2.2 Renseignements sur l’épave

Les examens réalisés sur l’épave n’ont pas mis en évidence de dysfonctionnement susceptible d’avoir contribué à l’événement. Il a notamment été observé que :

le moteur délivrait de la puissance au moment de l’impact avec la végétation ;

les volets n’étaient pas rentrés, les dommages n’ont pas permis de déterminer leur position exacte ;

l’altimètre était calé sur 1000 hPa (valeur du QNH au moment de l’accident) et indiquait l’altitude de l’aérodrome ;

l’interrupteur du transpondeur était sur « OFF » ;

l’interrupteur du GPS était sur « OFF » ;

l’interrupteur du phare d’atterrissage était sur « OFF » ;

l’interrupteur des feux de navigation était sur « OFF » ;

l’interrupteur des feux anticollision était sur « ON » ;

la boucle de la ceinture du pilote a été retrouvée ouverte et en bon état apparent. La sangle de retenue du torse est rangée dans son logement.

La verrière a été détruite. Les fragments examinés sur le site n’ont pas révélé d’opacité qui aurait pu être le signe d’une vétusté avancée.

L’avion était équipé d’un calculateur GPS Bendix King KLN 89B. Ce calculateur ne dispose pas de cartographie. Il n’enregistre pas de données de position.

2.3 Témoignages

Un instructeur et un élève réalisaient des circuits d’aérodrome au moment de l’accident. L’instructeur explique qu’il a constaté avec son élève que le F-GHPN était « très bas » lors des deux finales(5). Il ne l’a pas signalé au pilote du F-GHPN pour ne pas le perturber. Il ajoute que les conditions météorologiques étaient « bonnes et que l’atmosphère était très calme ». Il précise qu’avant le vol le pilote ne souhaitait pas voler seul et ne trouvait personne pour l’accompagner.

Plusieurs membres de l’aéroclub ont indiqué que le pilote était dynamique et très actif mais qu’ils l’avaient trouvé particulièrement fatigué depuis quelques jours.

2.4 Approche dans un « trou noir » décrite par Konrad Kraft

De nuit par manque de repères visuels, les pilotes peuvent avoir tendance à conduire leur approche en gardant constant l’angle visuel entre les feux matérialisant le début et la fin de piste. La trajectoire devient alors concave (arc capable) alors qu’elle est perçue rectiligne par le pilote. C’est l’illusion de Kraft appelée aussi effet de « trou noir ».

 

Plusieurs rapports d’accidents ont illustré ce phénomène, notamment :

accident du BN2 B immatriculé 8P-TAD(6) du 18 juillet 1994 survenu en France ;

accident du C172 immatriculé C-GQVU(7) du 26 février 1996 survenu au Canada ;

accident de l’Astra SPX immatriculé C-FRJZ(8) du 22 mars 2000 au Canada ;

accident du MD-81 immatriculé OY-KHP(9) du 6 février 2010 en France.

2.5 Renseignements sur le pilote

Le pilote âgé de 72 ans était titulaire d’une licence de pilote privé avion de 1999, il totalisait environ 990 heures de vol dont 855 en tant que commandant de bord. Il était titulaire d’une habilitation au vol de nuit de 2008 et totalisait environ 34 heures de nuit dont un vol de 43 minutes sur PA28 en circuit d’aérodrome à Persan réalisé onze jours avant l’accident. Son dernier vol d’instruction en VFR de nuit avait été réalisé en septembre 2008.

2.6 Renseignements médicaux

Le pilote possédait un certificat médical de classe 2 en cours de validité délivré en octobre 2012 par un médecin généraliste agréé par le Directeur Général de l’Aviation Civile. Il lui était imposé le port de lunettes ou de lentilles.

L’autopsie pratiquée sur le corps du pilote a révélé une absence de blessure qu’aurait pu provoquer une ceinture de sécurité correctement attachée lors de l’accident. Elle a par ailleurs mis en évidence une dilatation des cavités cardiaques. Cet état peut engendrer notamment des troubles du rythme cardiaque et se traduire par de la fatigue. Elle a en outre révélé l’existence d’un voile cristallinien qui peut évoquer une cataracte. Cette affection, notamment liée à l’âge, est susceptible d’occasionner une gêne visuelle particulièrement aux luminances faibles et fortes (éblouissement ou vision de nuit par exemple).

La dernière visite d’aptitude médicale du pilote a été réalisée dans le cadre de l’arrêté du 2 décembre 1988(10). L’efficacité visuelle y est notamment définie par « une adaptation normale aux faibles et aux fortes luminances ». Cette évaluation ne peut cependant être pratiquée que dans des centres spécialisés comme les centres d’expertise du personnel navigant. Depuis avril 2013, les normes d’aptitude médicale de classe 2 applicables en France sont définies par le règlement (UE) n° 1178/2011 et les AMC (Moyens Acceptables de Conformité) associés (notamment l’AMC2 MED.B.070). Les dispositions relatives à l’adaptation aux faibles et aux fortes luminances n’ont pas été reprises. Il est prévu notamment que des examens ophtalmologiques spécifiques soient prescrits sur indication des résultats de l’examen clinique. Ce dernier prévoit la recherche de pathologies de l’œil. La diminution de la transparence du cristallin n’est pas considérée comme une pathologie tant qu’une cataracte n’est pas diagnostiquée. A travers cet examen, l’AMC ne prévoit donc pas explicitement la recherche de signes précurseurs de la cataracte (comme la baisse de transparence du cristallin).

2.7 Evénements survenus dans des conditions de luminances extrêmes

Une recherche effectuée sur la base de données du BEA indique que depuis 2004, seize enquêtes sur des accidents d’avion ont identifié une contribution des conditions d’éclairement. Dans un tiers de ces événements le pilote était âgé de plus de 65 ans.

L’opacification du cristallin est un facteur rarement recherché dans les enquêtes dans la mesure où les pilotes étaient titulaires d’un certificat médical valide. Cette affection a été néanmoins établie dans l’accident du DR400 immatriculé F-GJZB(11) en 2004 à Arcachon. L’avion était entré en collision avec des arbres lors de la finale. Le pilote, âgé de 78 ans, avait été ébloui par le soleil et n’était pas parvenu à identifier la piste. Sa baisse de performance visuelle, due à une cataracte avait probablement augmenté sa sensibilité à l’éblouissement.

2.8 Renseignements supplémentaires

Le plan de vol du pilote pour Pontoise a été activé par téléphone avant le départ. Celui-ci n’a pas contacté d’organisme de contrôle et n’a pas annulé le plan de vol.

Le vol de l’accident n’a pas été enregistré par les radars secondaires couvrant la zone.

Les conditions météorologiques étaient compatibles avec le vol à vue de nuit.

La piste revêtue 10 n’est pas équipée d’un indicateur de pente d’approche (PAPI). Elle est équipée d’un balisage lumineux basse ou haute intensité composé de feux de seuil, d’extrémité et de bord de piste. Le balisage fonctionnait correctement en basse intensité au moment de l’accident.

3 - Enseignements et conclusion

Les performances opérationnelles(12) du pilote lors du vol, les éléments médicaux et les témoignages indiquent un état de fatigue du pilote qui peut expliquer sa réticence à voler seul et sa décision d’interrompre la navigation. Dans ce contexte, une gêne visuelle possiblement liée à l’existence d’un voile cristallinien a pu accroître les difficultés du pilote à acquérir les repères visuels et à contrôler sa trajectoire en finale. Le pilote est alors descendu sous le plan nominal. Il ne s’est pas rendu compte de sa proximité avec la végétation et n’a pas effectué de manœuvre d’évitement avant la collision. Le phare d’atterrissage étant éteint, il lui était difficile de prendre conscience de sa proximité avec le sol. La faible hauteur et la trajectoire de l’avion lors de la collision avec la végétation sont caractéristiques d’une illusion visuelle de type « approche dans un trou noir » décrite par Kraft. La fatigue et la dégradation des performances visuelles favorisent la survenue de ce type d’illusion.

A la suite de l’accident l’arbre a été coupé. Le club a également mis en place une règle interne d’expérience récente pour le vol à vue de nuit : tous les douze mois, les pilotes doivent faire un vol d’instruction et une séance d’instruction sur le simulateur du club.

Le vol à vue de nuit requiert une grande vigilance et une technicité élevée. Le contrôle du plan de descente lorsque la piste n’est pas équipée d’un indicateur de pente d’approche demande une attention particulière. Le vol de nuit constitue un sujet pouvant faire l’objet d’une attention particulière de la part des organismes de formation approuvés (ATO), notamment dans le cadre de leur Système de Gestion de la Sécurité (SGS).

4 - Recommandations

Rappel : conformément aux dispositions de l’article 17.3 du règlement n° 996/2010 du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 sur les enquêtes et la prévention des accidents et des incidents dans l’aviation civile, une recommandation de sécurité ne constitue en aucun cas une présomption de faute ou de responsabilité dans un accident, un incident grave ou un incident. Les destinataires des recommandations de sécurité rendent compte à l’autorité responsable des enquêtes de sécurité qui les a émises, des mesures prises ou à l’étude pour assurer leur mise en œuvre, dans les conditions prévues par l’article 18 du règlement précité.

Exigences applicables aux certificats médicaux de classe 2 des pilotes

L’existence d’un voile cristallinien n’est pas un facteur systématiquement recherché lors d’un examen médical pour l’obtention de l’aptitude de classe 2. Des enquêtes ont montré cependant que des difficultés d’adaptation à des luminances extrêmes pouvaient contribuer à des accidents mortels. Les examens décrits par l’AMC, orientés sur la recherche de pathologies déclarées, ne permettent en effet pas de détecter une diminution de la transparence du cristallin, si ce n’est dans une forme extrême comme la cataracte. Cette affection se développe avec l’âge et se manifeste le plus souvent à partir de 65 ans. Le développement d’un voile cristallinien constitue pourtant un risque pour la sécurité aérienne et a pu contribuer à la survenue de cet accident. Sans nécessairement modifier les critères d’aptitude et les modalités d’évaluation de l’acuité visuelle, il est possible d’identifier les pilotes qui risquent d’être affectés par cette déficience et de les sensibiliser sur le risque de dégradation de leurs performances visuelles dans certaines circonstances.

En conséquence le BEA recommande que :

l’AESA étudie les moyens de sensibiliser les médecins quant aux risques associés à la présence d’une cataracte et notamment de ses signes précurseurs. [Recommandation FRAN-2015-002]

l’AESA modifie l’AMC2 MED.B.070 pour permettre d’identifier les pilotes à risques en procédant à une évaluation qualitative de la vision dans des conditions de luminances extrêmes afin d’informer ces pilotes des risques de détérioration de leur performance visuelle dans certaines circonstances et de leur conseiller des examens complémentaires par un ophtalmologue (par exemple pour détecter la présence d’un voile cristallinien ou des signes précurseurs d’une cataracte). Cette évaluation qualitative peut être faite par la vérification des antécédents médicaux et sur indication clinique (par exemple des problèmes d’acuité visuelle, résultat d’un test de luminance). [Recommandation FRAN-2015-003]

 

(1)Les éléments de ce paragraphe sont issus de l’enregistrement de la fréquence d’auto-information de Persan Beaumont.

(2)Piste revêtue 830 m x 20 m, LDA 750 m équipée d’un balisage lumineux.

(3)Surface de dégagement aéronautique de l’aérodrome qu’il convient de garder libre de tout obstacle.

(4)L’instructeur précise qu’il voyait les feux anti-collision du F-GHPN.

(5)http://www.bea.aero/docspa/1994/8p-d940718/pdf/8p-d940718.pdf

(6)http://www.tsb.gc.ca/fra/rapports-reports/aviation/1996/a96o0034/a96o0034.asp

(7)http://www.tsb.gc.ca/fra/rapports-reports/aviation/2000/a00a0051/a00a0051.asp

(8)http://www.bea.aero/docspa/2010/oy-p100206/pdf/oy-p100206.pdf

(9)Arrêté du 2 décembre 1988 relatif à l’aptitude physique et mentale du personnel navigant technique de l’aviation civile.

(10)http://www.bea.aero/docspa/2004/f-zb040201/pdf/f-zb040201.pdf.

(11)Non-activation du transpondeur pour une navigation de nuit, feux de navigation et phare d’atterrissage éteints, ceinture de sécurité non-attachée.