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Déclenchement de la protection grande incidence en approche

Déclenchement de la protection grande incidence en approche

Responsible entity

France - BEA

Investigation progression Closed
Progress: 100%

1. DÉROULEMENT DU VOL

Note : En l’absence de données du CVR, ce déroulement du vol a été établi à partir des paramètres du FDR et des éléments factuels recueillis dont les témoignages de l’équipage.

L’équipage décolle de l’aéroport Paris Charles de Gaulle à 10 h 01 à destination de Marseille Provence (vol AF662 KU). Le commandant de bord est PF.

Lors du briefing avant la descente, l’équipage prépare une approche ILS vers la piste 13R, dédiée ce jour-là aux atterrissages. Les pilotes évoquent aussi la possibilité d’un atterrissage sur la piste 13L, pour laquelle un plan de vol secondaire a été préparé, en prévoyant d’effectuer, dans ce cas, une baïonnette.

L’équipage intercepte le radiophare d’alignement de piste (LOC) de la piste 13R à une altitude de 3 500 ft avec les automatismes AP1, FD et A/THR engagés. Alors que l’avion est en configuration 1, l’équipage décide de désengager l’A/THR et l’AP1 pour poursuive en pilotage manuel conformément à leurs pratiques habituelles. Puis, il sélectionne la configuration 2 et intercepte le radiophare d’alignement de descente (GLIDE).

Environ une minute plus tard, le PM demande au contrôleur l’autorisation d’atterrir sur la piste 13L. Le PM indique au PF qu’il s’inquiète sur la position plus avancée du seuil de la piste 13L par rapport à celui de la piste 13R. Cette situation entraîne un positionnement de l’avion au-dessus du plan de descente normal pour un atterrissage sur la piste 13L.

 

Pendant la manoeuvre de baïonnette, le sélecteur de train est positionné sur « sorti », la manette de commande des volets est placée par erreur dans le cran « 0 », au lieu d’être positionnée dans le cran « 3 » et la vitesse passe en mode « managée ».

A la fin de la baïonnette, la vitesse est d’environ 170 kt. L’assiette longitudinale passe de + 1,7° à + 3,9° et la vitesse verticale atteint - 2 000 ft/min. Le PF positionne son mini-manche fortement à cabrer. Il ne touche pas aux manettes de poussée qui sont proches de « IDLE ». Des actions de l’équipage, relatives à des changements de mode FMA et à l‘activation du plan de vol secondaire, sont enregistrées. L’incidence augmente fortement vers 10° et atteint le seuil de déclenchement du mode « ALPHA FLOOR », ce qui engage l’A/THR et commande la poussée maximum. L’avion est à environ 5,7 NM du seuil de piste 13L et légèrement en-dessous du plan de descente ILS de la piste 13L.

 

L’angle d’incidence continue d’augmenter et atteint « aMAX » (voir § 2.1). La position à cabrer du mini-manche continue d’augmenter tandis que la valeur de l’angle d’incidence se stabilise à cette valeur pendant deux secondes. Différentes actions sur les manettes de commande de poussée sont enregistrées entre les positions « CL » et « IDLE ».

L’altitude diminue et atteint un minimum de 1 700 ft. L’équipage rentre alors le train et annonce une remise des gaz.

Après avoir effectué un tour de piste à vue, l’équipage atterrit normalement sur la piste 13R.

 

2. RENSEIGNEMENTS COMPLÉMENTAIRES

2.1 Protection grande incidence

Sur Airbus A321, la loi de commande de vol normale offre des protections, notamment vis-à-vis des grandes incidences.

Quand l’incidence dépasse un seuil appelé « aPROT », la commande des gouvernes de profondeur et du plan horizontal réglable (PHR) passe à un mode de protection où l’incidence est proportionnelle au débattement du mini-manche. L’incidence commandée ne peut pas dépasser une limite appelée « aMAX », même si le manche est amené en butée à cabrer. Si le manche est relâché, l’incidence diminue et est maintenue à « aPROT ».

 

Le mode « ALPHA FLOOR » est déclenché quand d’incidence augmente au-delà d’un seuil prédéterminé, appelé « aFLOOR » qui dépend de la configuration de l’avion. La valeur « aFLOOR » est comprise entre « aPROT » et « aMAX ». L’A/THR est alors automatiquement activée et commande la poussée maximale (« TOGA ») indépendamment de la position des manettes de commande de poussée. Pour sortir du mode « ALPHA FLOOR » et désactiver le maintien de la poussée maximale, il faut déconnecter l’A/THR.

2.2 Alarme basse énergie

L’alarme basse énergie « SPEED SPEED SPEED » est une alarme sonore qui indique au pilote que l’énergie totale de l’avion devient inférieure à un seuil au-dessous duquel la poussée doit être augmentée pour maintenir une trajectoire ascendante. Cette alarme est disponible en configuration 2, 3 et FULL. Elle est inhibée au-dessus d’une hauteur de 2 000 ft.

Lors d’une décélération, elle s’active avant le déclenchement de la protection « ALPHA FLOOR ».

2.3 Témoignages de l’équipage

Les membres de l’équipage n’ont évoqué ni la particularité de la piste 13L (qui présente un seuil de piste avancé de 600 m par rapport à celui de la piste 13R), ni les conditions de l’exécution de la baïonnette.

 

Le PF a demandé au PM de sortir le train d’atterrissage au début de la baïonnette et d’activer le plan de vol secondaire. Le PF a le souvenir que le PM a annoncé « vitesse, vitesse ». Le PM a le souvenir d’avoir exécuté une multitude d’actions. Bien que la situation ne soit pas délicate, il s’est senti gêné par quelque chose qu’il n’a pas identifié. Il a eu le sentiment de se trouver dans un état d’hypovigilance et dans une situation qui s’est accélérée d’un seul coup. Il ne s’est pas rappelé avoir manipulé la manette de commande des volets. Il ne s’est pas souvenu si le PF lui avait demandé de sortir le train d’atterrissage uniquement ou le train d’atterrissage et les volets 3.

Pendant toute la durée de la baïonnette, le PF regardait dehors.

Le PF a constaté que la vitesse, d’environ 170 kt, était inférieure à la VLS. Cette vitesse lui a semblé cohérente avec l’avion en configuration 2. Il a pensé à une panne de l’indicateur de vitesse.

 

3. ENSEIGNEMENTS ET CONCLUSION

3.1 Charge de travail de l’équipage

L’absence de briefing détaillé concernant les conditions de l’exécution de la manoeuvre de la baïonnette n’a pas permis au PM d’avoir un projet d’action commun avec le PF. En mentionnant le décalage entre les seuils 13R et 13L, le PM attendait du PF qu’il annonce comment il allait rattraper le plan de descente. Ces attentes n’ont pas été satisfaites.

La charge de travail de l’équipage a augmenté dès lors que l’AP1 et l’A/THR ont été déconnectés.

Dans ce contexte, le PM a pu vouloir précipiter les actions pour configurer l’avion pour l’atterrissage et activer le plan de vol secondaire vers la piste 13L. L’enchaînement rapide de ces actions a pu conduire le PM à réaliser des actions machinalement sans contrôle. La transition rapide d’une situation détendue à une charge de travail élevée a pu contribuer à la sélection erronée du braquage des volets, non détectée par l’équipage.

 

3.2 Contrôle de la configuration becs/volets

Le PM a rentré les volets sans que l’équipage ne se rende compte immédiatement du changement de configuration de l’avion.

La procédure prévoit que le PM, sur ordre du PF, agisse sur la manette de commande des volets et contrôle leur position finale. Ce contrôle se fait ultérieurement, le temps que les volets atteignent la position commandée. Ce laps de temps incite à l’exécution d’autres actions au détriment du contrôle effectif de la position finale des volets.

Il apparaît ainsi que le PM a manipulé la manette de commande des volets, sans vérifier leur position finale. Il a également effectué d’autres actions concomitamment. Ceci est propice à l’oubli de la finalisation d’une tâche initialement engagée, mais qui a été interrompue.

 

L’absence d’annonce de la position finale des volets par le PM, qui devait confirmer au PF l’exécution de sa demande de changement de configuration, n’a pas alerté le PF, probablement en raison de la multiplicité des tâches effectuées, notamment l’exécution de la manoeuvre de la baïonnette.

3.3 Diminution de l’état d’énergie de l’avion

Le PF, qui regardait à l’extérieur de la cabine de pilotage pendant toute la durée de la baïonnette, est ensuite revenu à ses instruments. Il a constaté une vitesse de 170 kt environ, cohérente avec une vitesse d’approche en configuration 2, dans laquelle il pensait être. La vitesse était alors en dessous de la VLS mais il a pensé à une erreur instrumentale sans échanger avec le PNF.

Ce diagnostic erroné a conduit à l’absence d’augmentation de la poussée et aux actions à cabrer probablement dans le but de réduire le taux de descente. Ces actions ont provoqué la diminution de l’état d’énergie de l’avion, ainsi que l’augmentation de l’incidence et du taux de descente.

L’alarme basse énergie « SPEED, SPEED, SPEED », qui aurait pu alerter l’équipage de la diminution de vitesse, ne s’est pas déclenchée car l’avion était en configuration 0 (volets rentrés).

 

3.5 Changements de procédures depuis l’événement

Des changements de procédures ont été mis en place par l’exploitant après cet incident notamment sur les deux thèmes suivants:

Manipulation des volets : lorsque le PF demande un changement de braquage becs/volets par l’annonce «Flap X», le PM :

- vérifie que la vitesse est compatible avec la configuration demandée et annonce « Speed check » ; ainsi le PM se prépare et se concentre sur l’action à effectuer ;

- actionne la commande de becs/volets, vérifie immédiatement la valeur cible sélectée affichée en bleu sur l’ECAM et annonce « Flaps X » (sans attendre que les volets soient effectivement dans cette position). En rapprochant ainsi le contrôle de l’action, on réduit le risque d’une éventuelle interruption de la tâche, et d’une sélection de volets erronée.

Utilisation des automatismes : l’utilisation appropriée des automatismes en cas de charge de travail élevée, notamment A/THR ON en vitesse managée pour les approches à vue, permet de se prémunir contre les passages sous vitesse d’évolution et de dégager des ressources pour le PM.

 

Ces procédures et ces bonnes pratiques sont de nature à renforcer les barrières de prévention pour un tel événement.

3.6 Causes

La sélection erronée du braquage des volets et des becs, non détectée par l’équipage, suivie d’actions inadaptées à cabrer sur les commandes ont conduit à une baisse de l’état d’énergie de l’avion, non perçue immédiatement, puis à l’activation de la protection grande incidence.

Une préparation insuffisante au cours du briefing arrivée a pu contribuer à la gestion inadaptée de la charge de travail lors du changement simultané d’axe d’atterrissage (baïonnette) et de la configuration de l’avion.