Désolidarisation des deux demi-compas du train avant lors du roulage à l'atterrissage, perte de contrôle en direction, imobilisation sur la piste
Désolidarisation des deux demi-compas du train avant lors du roulage à l'atterrissage, perte de contrôle en direction, imobilisation sur la piste
1 - DÉROULEMENT DU VOL
L’équipage effectue le vol commercial régulier A5 703 entre l’aérodrome de Marseille-Provence (13) et celui de Toulouse-Blagnac (31). Lors du roulage à l’atterrissage en piste 14 gauche, après que le copilote a transféré les commandes de vol au commandant de bord, l’équipage perçoit un bruit suivi de vibrations en provenance du train avant. En fin de roulage, alors qu’il s’apprête à virer à gauche par la bretelle de dégagement pour rejoindre le parc de stationnement, le commandant de bord constate que le contrôle de la direction du train avant ne fonctionne plus. Il poursuit le freinage de l’avion. Un bruit est à nouveau entendu à l’avant et l’avion s’immobilise sur l’axe de la piste.
2 - RENSEIGNEMENTS COMPLÉMENTAIRES
2.1 Examen de l’avion
Les deux demi-compas du train avant sont désolidarisés : l’axe de liaison est manquant. Le train avant est braqué vers la droite et les deux pneumatiques sont sortis de leurs jantes. Le boîtier de détection de proximité (Proximity Switch) est détaché de son emplacement sur le fût, suspendu par un faisceau de câblage électrique. La partie arrière du caisson de train avant comporte plusieurs impacts dus aux chocs répétés du boîtier de détection. L’axe de liaison des deux bras du train avant, une rondelle cuvette et un support de manocontacts sont retrouvés sur la piste, environ 1 000 mètres après le seuil 14. En dépit de recherches sur les pistes des aérodromes de Marseille-Provence et de Toulouse-Blagnac, les autres pièces qui constituent l’assemblage des deux demi-bras n’ont pas été retrouvées.
2.2 Description du train avant
Le train avant est constitué, entre autres, du fût (partie haute et partie tournante) et de la tige coulissante (partie basse) raccordés entre eux par un compas (repère C figure 1). Le fût comporte notamment la partie femelle de l’amortisseur oléopneumatique ainsi que deux circuits hydrauliques distincts : l’un permet de manoeuvrer le train (rentrée et sortie) et l’autre de l’orienter vers la droite ou vers la gauche (contrôle en direction de l’avion par l’intermédiaire de la partie tournante).
2.3 Description de la liaison des deux bras du compas
Le compas du train avant est formé d’un bras supérieur et d’un bras inférieur qui sont reliés par un axe de liaison. Il permet le libre débattement de l’amortisseur sur le plan.
La liaison des deux bras du compas est assurée par un axe traversant les alésages des bras supérieur et inférieur sur lequel sont empilées plusieurs rondelles de formes et d’épaisseurs variables. Le serrage final est assuré par un écrou maintenu par un frein à griffes.
2.4 Examens visuels et métallographiques
Les examens visuels et métallographiques pratiqués au laboratoire du BEA ont montré que :
le montage de la rondelle chanfreinée est correct avec la présence de graisse sous tête de l’axe et du bon côté de la rondelle ;
la conformité de l’assemblage des rondelles et des bagues des bras du compas ne peut pas être vérifiée avec certitude à partir des traces de fonctionnement observées sur l’axe ;
la partie filetée présente un degré de corrosion avancé et ancien ainsi que des dégâts significatifs d’un recul de l’écrou de serrage et/ou d’une des pièces de l’assemblage. Les épaisseurs des dépôts de corrosion sont d’environ 0,3mm en fond de filet ;
les traitements de surface anticorrosion (peinture et cadmiage) sont conservés en partie lisse de l’axe mais ils sont absents au niveau du filetage ;
les usures de la peinture au niveau de la partie cannelée peuvent attester d’un mauvais positionnement de la rondelle frein à griffes.
Les arrachements des sommets et flancs de filets (partie filetée) ainsi que des sommets et flancs de moletage (partie cannelée) sont consécutifs à la perte de l’écrou et/ou d’un ou plusieurs éléments de l’assemblage en partie lisse de l’axe.
Les pénétrations en corrosion observées sur les filets de l’axe sont rédhibitoires à la tenue de l’assemblage en service.
La dégradation des flancs et l’importance des dépôts de corrosion au niveau des filets de la partie filetée de l’axe peuvent conduire à un défaut de montage de l’écrou. Il n’est pas possible de dater précisément cette corrosion.
Compte tenu de l’absence de nombreuses pièces de l’assemblage, plusieurs hypothèses peuvent expliquer la perte de l’axe d’articulation du compas :
un mauvais positionnement ou l’absence d’un des éléments manquants ;
un défaut de montage dû au degré de corrosion de l’axe et à celui, non connu, de l’écrou.
2.5 Maintenance récente du train avant
Les documents de suivi de maintenance fournis par le constructeur du train indiquent que l’axe de liaison (P/N D56857, S/N 00008) est celui qui équipait l’avion lors de sa mise en service le 11 mai 1998.
Le jour de l’incident, il totalisait 26 673 heures de vol et 34 923 cycles de fonctionnement.
La révision générale réalisée en 2004 et la réparation du train avant suite à des vibrations en 2009 ont confirmé la présence du même axe.
Suite à plusieurs compte-rendus d’équipages faisant état de points durs sur le volant de direction, il a été procédé le 13 mars 2012 au changement de l’amortisseur du train par un amortisseur de location. Cette opération a été faite dans un atelier de maintenance en Allemagne. Le 20 avril 2012, l’amortisseur initialement déposé pour réparation, a été remonté sur le train dans un atelier de maintenance français. Lors de ces deux interventions qui ont donné lieu à deux désaccouplements du compas, il n’a pas été jugé nécessaire de changer l’axe et/ou les pièces constitutives de la liaison qui ne présentaient pas de trace de corrosion.
Entre le 12 décembre 2012 et le 20 février 2013, de nouveaux rapports d’équipages font état de points durs. Il est procédé à un graissage du volant et à deux lubrifications conformément la carte de travail JIC 122232-LUB-10010.
En conclusion, le dernier démontage de la liaison a été réalisé le 20 avril 2012.
2.6 Evénements similaires
En octobre 2011, perte de l’axe de liaison du train avant sur un ATR 42-300 lors de l’atterrissage à Tuymen (Fédération de Russie). Les examens métallurgiques avaient mis en évidence, non seulement un montage erroné de l’empilage de pièces mais aussi une forte corrosion de la partie fixation de l’axe.
Le 30 mars 2013, perte de l’axe de liaison du train avant sur un ATR 72-200 lors de l’atterrissage à Dublin. Le rapport final de l’enquête met en évidence la dégradation de la couche de protection cadmium du filetage et la dégradation de ce dernier qui ont conduit à la perte progressive de serrage de l’écrou sur l’axe, à l’installation d’un jeu entre les pièces et à la perte définitive de serrage de l’assemblage.
2.7 Actions entreprises par le constructeur de l’avion et du train
2.7.1 Recommandation du constructeur de l’avion
En mars 2013 puis, en octobre 2014, le constructeur ATR a diffusé plusieurs messages vers les opérateurs (OIM) pour les alerter des trois occurrences et pour leur recommander de procéder à une inspection approfondie (Démontage/Nettoyage/ Remontage) des axes de compas de train avant.
2.7.2 La carte de travail
La carte de travail utilisée pour remplacement de l’amortisseur avant a été révisée par le constructeur de l’avion en mars 2013, à la suite de l’incident.
Les principales différences avec la carte de travail précédente portent sur :
l’utilisation d’un solvant dégraissant ;
ajout d’un item pour le remplacement de l’axe et de l’écrou si un endommagement et/ou de la corrosion sont mis en évidence ;
l’utilisation d’un outillage spécifique supplémentaire et lubrification des filetages de l’axe ;
remplacement systématique des rondelles ;
remplacement de l’écrou et de l’axe si de la corrosion est détectée.
2.7.3 Services Bulletin
Le constructeur du train d’atterrissage (Messier-Dowty-Bugatti) a émis un Service Bulletin en septembre 2014 (SB n° 631-32-221) recommandant aux opérateurs d’ATR 42 et d’ATR 72 de pratiquer un examen détaillé de l’assemblage et des jeux entre les pièces, d’inspecter la tête de l’axe de liaison et de la remplacer en cas de corrosion.
2.8 Analyse des enregistreurs de vol
Conformément à la réglementation, l’avion était équipé d’un enregistreur phonique (CVR) et d’un enregistreur de paramètres (FDR).
Le dépouillement des enregistreurs de vol a permis de constater que :
à 18 h 34 min 55 sec à la vitesse de 107 kt, les trois amortisseurs de trains sont comprimés (atterrissage à Toulouse) ;
cinq secondes plus tard, alors que la vitesse est de 94 kt, l’information « train avant comprimé » est perdue jusqu’à l’arrêt de l’avion. Cette perte d’information correspond à l’endommagement du boîtier de détection de proximité à la suite de la perte de liaison des deux-demi compas.
2.9 Conditions météorologiques
Les conditions météorologiques étaient les suivantes :
vent 110° à 140° / 24 kt rafales à 47 kt ;
CAVOK ;
température 14 °C ;
QNH 998 hPa.
2.10 Information sur le personnel navigant technique
Le commandant de bord, titulaire d’une licence ATPL (A), totalisait 11 300 heures de vol dont 5 760 sur type.
L’officier pilote de ligne, titulaire d’une licence ATPL (A), totalisait 2 390 heures de vol dont 2 000 sur type.
3 - ENSEIGNEMENTS ET CONCLUSION
3.1 Défaut d’assemblage et dégradation des filetages
Lors de la dernière intervention majeure sur le train avant (remplacement de l’amortisseur) en avril 2012, la carte de travail ne précisait pas d’échange systématique de tout ou partie des pièces déposées, ni de contrôle particulier de l’axe. On peut penser qu’elles ont été remontées en l’état. Cependant, toutes les pièces n’ayant pas été retrouvées, on ne peut pas totalement exclure que le dernier montage n’était pas conforme.
Le compte-rendu des interventions mineures de graissage/lubrification de l’axe réalisées en décembre 2012 et février 2013, ne mentionne pas la présence de corrosion.
Les examens métallurgiques ont révélé que le filetage de l’axe de compas était fortement corrodé ; les observations indiquent que ses performances en matière de tenue mécanique étaient dégradées. Les dégradations des flancs et l’importance des dépôts de corrosion au niveau des filets ont pu conduire à une fragilisation de l’ensemble vissé axe/écrou.
3.2 . Cause
La désolidarisation du compas du train avant est consécutive à la perte de l’axe de maintien lors du roulement à l’atterrissage.
Cette perte peut avoir pour origine :
un mauvais positionnement d’un des éléments constitutifs de l’assemblage ;
la fragilisation de l’ensemble vissé axe/écrou par corrosion du filetage de l’axe et probablement de l’écrou.