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Passage sous la vitesse d'évolution en finale, remise de gaz, déclenchement du mode de protection Alpha Floor

Passage sous la vitesse d'évolution en finale, remise de gaz, déclenchement du mode de protection Alpha Floor

Responsible entity

France - BEA

Investigation progression Closed
Progress: 100%

1 - DÉROULEMENT DU VOL

Note : les éléments suivants sont issus de données extraites de l’enregistreur de maintenance (QAR), de l’enregistrement des communications radio et des témoignages de l’équipage. L’enregistrement phonique (CVR) de l’événement n’était plus disponible lors de la notification de l’événement au BEA.

L’équipage, basé à Marseille, décolle à 12 h 28 pour le dernier vol d’une série de deux allers-retours entre Marseille Provence et Paris Charles de Gaulle. L’ATIS de Marseille annonce des conditions météorologiques CAVOK à l’arrivée avec un faible vent d’ouest. La piste 31R est fermée par NOTAM pour des travaux.

Le pilote automatique (AP), les directeurs de vol (FD) et l’auto-poussée (A/THR) sont engagés. Le copilote est aux commandes (PF).

A 13 h 17, l’équipage contacte le contrôleur d’approche de Marseille qui l’autorise à réaliser une approche pour la piste 31L. L’équipage précise ensuite qu’il souhaite réaliser une approche à vue main droite ou main gauche.

A 13 h 25, tandis que l’avion se trouve à une distance d’environ 10 NM au nord-est de l’aérodrome, le contrôleur demande à l’équipage : « vous serez preneur de l’approche à vue main gauche par un circuit relativement court ? ». L’équipage accepte et commande la sortie des becs et volets en configuration 1.

 

L’équipage commande la configuration 2 et désengage l’AP et les FD. L’A/THR passe en mode SPEED. Le PF s’établit en branche vent arrière avec une vitesse sélectée de 190 kt, à 3 450 ft.

Dans la branche vent arrière, l’équipage commande la sortie des trains d’atterrissage et la configuration 3. L’avion se trouve à 2 500 ft, en descente avec un vario de - 900 ft/min et une vitesse sélectée de 160 kt. L’équipage passe ensuite en mode de vitesse managée : la vitesse cible devient alors la vitesse « F »(1) qui est de 145 kt en configuration 3.

A 156 kt, à la suite d’une anomalie interne, le Flight Management System (FMS) se réinitialise sans action de l’équipage(2). Cette réinitialisation dure quelques secondes et entraîne une réversion de mode de la vitesse managée vers la vitesse sélectée avec pour cible la vitesse courante. La poussée des moteurs augmente afin de maintenir cette vitesse. La vitesse verticale évolue entre - 1 000 ft/min et - 1 600 ft/min.

En début de virage vers l’étape de base, l’équipage commande la configuration FULL et repasse en mode de vitesse managée 33 secondes après la réinitialisation du FMS. La vitesse cible devient alors la Vapp qui est de 136 kt. La poussée des moteurs diminue, les N1 passant à 30 %.

 

En milieu d’étape de base, l’avion se trouve à une altitude de 1 250 ft avec un vent provenant de l’arrière-gauche. La vitesse verticale est de - 900 ft/min et la vitesse est de 142 kt (Vapp + 6 kt). Le PF initie le dernier virage à environ 2,4 NM du seuil de piste et effectue deux brèves mais franches actions à piquer. La vitesse verticale augmente rapidement de - 1 000 ft/min à - 1 900 ft/min.

Lors du dernier virage, à une altitude d’environ 900 ft, le PF incline l’avion à 26° sur la gauche. Il donne un ordre à cabrer tandis que le vent provient désormais du secteur ¾ avant-gauche. Cet ordre dure 6 secondes, l’assiette s’affiche à + 6° et la vitesse verticale à - 500 ft/min. La vitesse chute rapidement de 143 kt à 132 kt puis reste inférieure à la Vapp pendant 6 secondes.

 

A 13 h 30 min 25, à une distance d’environ 1,9 NM du seuil de la piste, à une altitude de 775 ft et 650 ft de hauteur(3), avec une inclinaison de 26° sur la gauche, l’incidence atteint 12°. Le mode de protection ALPHA FLOOR s’engage deux secondes plus tard, suivi du mode TOGA LOCK : le régime des moteurs commence à augmenter. Le PM annonce « ALPHA FLOOR » puis « remise de gaz ».

A 13 h 30 min 32, tandis que la vitesse est de 142 kt, en augmentation, les manettes de poussée sont ramenées sur le cran IDLE puis avancées dans le cran TOGA : cette action désengage le mode TOGA LOCK. Le PF donne un ordre prononcé à cabrer. L’avion atteint la hauteur minimale de 474 ft.

A 13 h 30 min 36, l’avion commence à monter. Trois secondes plus tard, le PM commande la configuration 3 et annonce au contrôleur une remise de gaz. L’assiette augmente progressivement vers 14°. L’équipage effectue une nouvelle approche et atterrit normalement.

 

3 - ENSEIGNEMENTS ET CONCLUSION

3.1 Travail en équipage

Etant basés à Marseille, les deux pilotes sont coutumiers de ces rotations. Lors du briefing, l’équipage s’est préparé pour une approche main droite, la plus fréquemment proposée. L’approche à vue main gauche n’a été briefée que succinctement. Ils n’ont pas identifié de difficulté particulière, une routine s’étant très probablement installée et leur vigilance ayant pu diminuer.

Lorsqu’il a entendu le contrôleur parler d’un « circuit relativement court », le PF l’a interprété comme une instruction pour passer en étape de base au-dessus de l’autoroute. Il n’a pas envisagé de demander de confirmation au contrôleur. La conduite d’une approche non conventionnelle et raccourcie n’a pas fait l’objet d’une stratégie ou d’une préparation particulière. En l’improvisant, l’équipage s’est éloigné de la procédure d’approche à vue standard préconisée par la compagnie.

 

Lors du briefing, l’échange des rôles PF/PM permettant au PF d’être en vue de la piste n’a pas été envisagé. Pendant l’approche, le PM a également porté son attention vers l’extérieur et sa surveillance des paramètres a diminué. La répartition des tâches au sein de l’équipage n’était plus clairement assurée.

Le PF était fatigué et avait demandé au PM de lui signaler d’éventuels écarts. Le PM a estimé que le PF débutait trop tôt le virage en étape de base mais ne l’a pas annoncé. Il n’a pas non plus annoncé les variations importantes du taux de descente, régulièrement entre - 1 000 ft/min et - 1 900 ft/min. Enfin, peu avant le déclenchement de la protection ALPHA FLOOR, il n’a pas annoncé la diminution sensible de la vitesse, en dessous de la Vapp.

 

Lors de l’apparition de l’alarme ALPHA FLOOR, les témoignages des deux pilotes indiquent que le PM a cessé de prononcer ses annonces en anglais. Il a repris la langue française en s’éloignant des standards. Le PF explique que ces annonces non standard en français l’ont perturbé dans le séquencement de la remise de gaz. Le PM n’a pas eu conscience de la gêne causée au PF.

Depuis fin 2012, les pilotes de la compagnie utilisent la documentation fournie par le constructeur et ont pour consigne de réaliser les annonces standards en langue anglaise. Cette consigne a représenté un changement profond pour des pilotes habitués de longue date à une phraséologie en français.

 

3.2 Identification des risques et conscience de la situation

Le PF était soucieux de ne pas arriver trop haut, trop vite et il a décidé de passer en configuration FULL très tôt, dès le virage en étape de base. La vitesse étant managée, la vitesse cible est alors devenue la vitesse d‘approche Vapp. Dans cette configuration et en virage, la marge par rapport au décrochage est significativement plus faible qu’à la vitesse cible « F » correspondant à la configuration 3. L’équipage n’a pas identifié les risques associés, notamment que les marges de sécurité en virage sont plus faibles à Vapp qu’à « F ».

En voyant trois rouges sur le PAPI tout en étant au-dessus du plancher de stabilisation (500 ft), le PF a donné un ordre prolongé à cabrer en virage. Le facteur de charge et l’incidence ont augmenté tandis que la vitesse diminuait.

En mode SPEED, l’A/THR ajuste la poussée des moteurs afin de maintenir la vitesse. Néanmoins, les moteurs tournaient à un régime réduit et l’augmentation progressive de la poussée n’a pas pu compenser la chute rapide de la vitesse.

 

En entendant l’alarme « SPEED, SPEED, SPEED » le PF a été surpris par ce qu’il a ressenti comme une absence de réaction de l’A/THR. Il a hésité quelques secondes et n’a pas réajusté la poussée. La vitesse a chuté en dessous de VLS jusqu’au déclenchement de la protection ALPHA FLOOR.

La procédure QRH associée à l’alarme « SPEED, SPEED, SPEED » précise d’augmenter la poussée jusqu’à l’arrêt de l’alarme et d’ajuster l’assiette si nécessaire. Cette procédure QRH(4) n’est pas un « memory item » et est rarement vue lors de la formation.

Après le verrouillage de la poussée maximale TOGA LOCK, le PF a ramené les manettes de poussée sur le cran IDLE avant de les avancer dans le cran TOGA. Il a inconsciemment désengagé l’A/THR et, de ce fait, le verrouillage de la poussée TOGA LOCK. Il n’a pas été possible d’expliquer pourquoi le PF a d’abord ramené les manettes de poussée sur le cran IDLE avant de les avancer dans le cran TOGA.

 

3.3 Répétitivité de l’événement

Un événement présentant de nombreuses similitudes est survenu en avril 2012 à un Airbus A320-214 en approche à Tel-Aviv (Israël)(5). Lors du dernier virage et alors que l’avion évoluait avec une faible réserve d’énergie compte tenu de sa configuration, un ordre prolongé à cabrer avait conduit au déclenchement de l’alarme basse énergie « SPEED, SPEED, SPEED » puis de la protection ALPHA FLOOR.

 

Il avait été identifié que :

la préparation de l’approche avait été succincte ;

l’avion était en configuration FULL très tôt, dès la fin de la branche vent arrière ;

le PF était mal positionné pour voir la piste durant l’approche ;

le PNF regardait à l’extérieur et ne surveillait plus les paramètres ;

la communication au sein de l’équipage avait été insuffisante.

Un groupe de travail de la Flight Safety Foundation consacré à la réduction des accidents en approche et à l’atterrissage(6) (ALAR) a établi que, sur la période considérée de 1984 à 1997, les approches non stabilisées (c’est-à-dire les approches lentes à faibles hauteurs ou rapides à hauteurs élevées) constituent un facteur causal dans 66 % des 76 accidents ou incidents graves survenus en approche ou à l’atterrissage.

Le groupe de travail a établi un certain nombre de facteurs contribuant aux approches non stabilisées. Il a également listé des écarts souvent impliqués dans ces approches non stabilisées.

Plusieurs de ces facteurs et de ces écarts se retrouvent dans l’incident du F-HBNE.

En 2006, la DGAC a conduit une réflexion sur le sujet des Approches Non Stabilisées (ANS)(7). Il a en particulier été identifié qu’un nombre important d’ANS a lieu lors d’approches à vue. Ces approches se caractérisent généralement par une vitesse excessive non résorbée et/ou un plan de descente trop fort ou trop faible en courte finale. L’étude met en lumière de nombreux points que l’on retrouve dans l’incident du F-HBNE.

 

3.4 Causes

Lors du dernier virage, alors que l’avion évoluait avec une faible réserve d’énergie compte tenu de son altitude et de sa configuration, un ordre prolongé à cabrer en virage a conduit au déclenchement de l’alarme basse énergie « SPEED, SPEED, SPEED », puis de la protection ALPHA FLOOR.

Les facteurs suivants ont pu contribuer à l’événement :

une demande peu précise du contrôleur interprétée par l’équipage comme une invitation à réaliser un circuit raccourci, non prévu dans la documentation ;

une répartition des rôles ne permettant pas au PF d’avoir la piste en vue ;

l’absence d’identification des risques associés à la sélection de la configuration FULL en fin de branche de vent arrière et donc à la réduction des marges par rapport au décrochage en virage ;

une baisse de vigilance probablement liée à la routine instaurée par des rotations répétitives à destination de l’aérodrome où l’équipage est basé ;

la fatigue du PF ;

l’absence d’annonces d’écarts par le PM qui, durant l’approche, est resté confiant dans la capacité du PF à poursuivre la manoeuvre ;

une procédure QRH qui n’est pas un « memory item » et qui est rarement vue lors de la formation, tandis que la situation demandait une réaction immédiate de la part du PF.

La réinitialisation du FMS, non identifié pendant plus de 30 secondes par l’équipage, s’est accompagnée d’un passage en vitesse sélectée dans une phase où le PF cherchait à réduire la vitesse. Il n’a pas été possible de déterminer si cette réinitialisation du FMS a contribué à l’incident.

4 - RECOMMANDATIONS ANTÉRIEURES

Les trajectoires des aéronefs en approche ne sont pas analysées systématiquement. Il n’a pas été possible de déterminer si l’approche réalisée lors de cet événement était une pratique courante à Marseille.

L’étude menée par le BEA au sujet des pertes de séparation en approche triple à Paris Charles de Gaulle(8) souligne que les compagnies européennes ont déjà mis en place une analyse systématique de vol et que ce système a fait ses preuves. S’agissant de l’ATM, le BEA estimait que la généralisation d’une analyse systématique de données radar permettrait non seulement de mieux analyser les pertes de séparation mais également d’étudier d’autres problématiques liées à l’ATC.

Ainsi le BEA recommandait dans cette étude que l’AESA, en liaison avec les autorités nationales, conduise des études sur la mise en place d’un processus d’analyse systématique des données radar pour les ANSP(13) [Recommandation FRAN-2013-066]. L’AESA a répondu à cette recommandation, en l’acceptant partiellement.

 

 

(1)Les vitesses caractéristiques en approche dépendent de la configuration d’atterrissage prévue et entrée préalablement dans le FMS. Lorsque l’atterrissage est prévu en configuration FULL, comme lors du vol de l’incident, ces vitesses sont la vitesse « S » en configuration 1, « F » en configurations 2 et 3 et Vapp en configuration FULL. Si l’atterrissage est prévu en configuration 3, la vitesse caractéristique en configuration 3 devient Vapp. En mode de vitesse managée, ces vitesses caractéristiques sont les vitesses cibles.

 

(2)Une telle réinitialisation du FMS s’accompagne d’une disparition momentanée de la carte, d’un message « MAP NOT AVAIL » sur l’écran de navigation (ND) et d’un changement de couleur de l’affichage de la vitesse cible sur l’échelle de vitesse.

 

(3)L’avion se situe à environ 100 ft en dessous du plan théorique à 4°.

 

(4)La procédure associée à l’alarme basse énergie « SPEED, SPEED, SPEED » a été retirée de la QRH depuis décembre 2013 par le constructeur. Airbus considère que la réaction à cette alarme fait partie des compétences de pilotage de base.

 

(5)Rapport du BEA disponible sous : www.bea. aero/docspa/2012/f-pe120403/pdf/f-pe120403.pdf.

 

(6)Flight Safety Foundation ALAR Tool Kit, Briefing Note 7.1 - Stabilized Approach www.skybrary. aero/bookshelf/ books/864.pdf Briefing Note 7.4 - Visual Approach www.skybrary. aero/bookshelf/ books/810.pdf

 

(7)Symposium DGAC du 29 novembre 2006 : Approches non stabilisées à l’issue d’approches à vue www. developpement-durable.gouv.fr/ IMG/pdf/16h10- Presentation_ approche_vue.pdf

 

(8)Etude disponible sous : www.bea. aero/etudes/pertes. de.separation. en.approche.triple/ pertes.de.separation. en.approche. triple.pdf.

 

(9)Air Navigation Service Providers.