Accident du Cessna 340 immatriculé N38CM survenu le 26/01/2022 à Saint-Denis-de-l'Hôtel (45)
Givrage pendant l'approche, atterrissage dur
Note : Les informations suivantes sont principalement issues des témoignages du pilote et des passagers. Ces informations n'ont pas fait l'objet d'une validation indépendante par le BEA.
Déroulement du vol
Le propriétaire, pilote, accompagné de deux autres pilotes, entreprend un vol de convoyage en IFR à la suite d’une opération de maintenance de l’avion, depuis l’aérodrome de Dinan-Trélivan (22) à destination de celui d’Orléans où l’avion est basé. Après une discussion entre les trois pilotes, le propriétaire s’installe en place droite et l’un des deux pilotes s’installe en place gauche en tant que commandant de bord sur le vol.
Le ciel est dégagé au décollage, en montée et lors de la croisière au FL 160.
Lors de la descente vers Orléans - Saint-Denis-de-l'Hôtel, le pilote est autorisé pour l’approche RNP23. Il indique que l’avion entre dans la couche à une altitude d’environ 3 000 ft. Il constate alors l’apparition d’une couche de givre sur les bords d’attaque des ailes, similaire en épaisseur à ce qu’il a l’habitude de rencontrer. Il lance alors un premier cycle de dégivrage des bords d’attaque et de l’empennage (voir § Renseignements sur l’aéronef).
En palier à 2 100 ft, avant l’interception du plan de descente, le pilote vérifie à nouveau les bords d’attaque et lance un deuxième cycle de dégivrage. Il demande au propriétaire de sortir le premier cran de volets (volets 15)[1], puis il sort le train d’atterrissage.
Le pilote indique que le pilote automatique intercepte le plan de descente. Le pilote sort un cran de volet supplémentaire (volets 30). L’avion sort de la couche nuageuse vers 800 ft d’altitude. Le commandant de bord vérifie alors une dernière fois le bord d’attaque des ailes, constate la présence de givre et lance un nouveau cycle de dégivrage.
L’approche finale est réalisée avec les volets 30, à une vitesse indiquée d’environ 115 kt[2]. Le commandant de bord et le pilote assis à l’arrière indiquent qu’au cours de la finale le propriétaire demande à plusieurs reprises au pilote de réduire la puissance, ce que ce dernier refuse de faire et le verbalise, considérant que c’est encore trop tôt.
En arrivant au-dessus de la piste, à quelques mètres de hauteur, le propriétaire demande à nouveau au commandant de bord de réduire la puissance. Ce dernier abaisse les manettes de puissance, l’avion s’enfonce instantanément et touche durement la piste.
Le commandant de bord immobilise l’avion sur l’axe de piste. Les trois occupants évacuent l’avion indemnes. Les pilotes constatent la présence d’une fine couche de givre sur le bord d’attaque des ailes et une couche plus importante sur le bord d’attaque de l’empennage horizontal (voir Figure 1). Les hélices et les ailes sont endommagées.
Figure 1 : givre sur l'empennage horizontal peu après l'événement (source : passager)
Renseignements complémentaires
Renseignements météorologiques
Le message METAR de l’aérodrome d’Orléans - Saint-Denis-de-l’Hôtel daté de 16 h 30 fournit les observations suivantes :
- vent du 090 pour 4 kt, de direction variable entre le 040 et le 120 ;
- visibilité de 5 000 m ;
- présence de brume ;
- ciel couvert à 400 ft ;
- température -1 °C, point de rosée -1 °C ;
- QNH 1 035 hPa.
Renseignements sur l’aéronef
Le Cessna 340 est équipé des systèmes de protection contre le givrage suivants :
- un système de dégivrage pneumatique des bords d’attaque des ailes, de l’empennage horizontal et vertical ;
- un système d’antigivrage électrique des hélices ;
- un système électrique de réchauffage des sondes Pitot, de la sonde d’incidence, de l’indicateur de décrochage, des prises de pression statiques et du pare-brise.
D’après le manuel de vol de l’avion, le système de dégivrage des bords d’attaque des ailes et de l’empennage est conçu pour enlever la glace après une période d’accumulation. Il est constitué de boudins qui se gonflent grâce à de l’air prélevé sur les moteurs. Un cycle de gonflage et de dégonflage dure environ 45 s.
Le manuel de vol demande d’activer ce système, en conditions givrantes, lorsque l’épaisseur de glace atteint entre ¼ et ½ inch[3], et de répéter les cycles autant que nécessaire en les espaçant d’au moins 45 s.
Le manuel de vol indique que les approches tous moteurs en fonctionnement sont réalisées à une vitesse d’approche de 94 kt avec les volets 45. En conditions givrantes, le manuel de vol demande de majorer la vitesse d’approche pour compenser l’augmentation de la vitesse d’apparition du buffet annonciateur du décrochage due à la présence de glace sur les parties non protégées. La valeur de la majoration de vitesse n’est pas précisée dans le manuel. Le manuel ne fournit pas non plus les vitesses d’approches dans les autres configurations de volet.
Renseignements sur le pilote
Le pilote, âgé de 57 ans, est titulaire d’une licence CPL(A) assortie des qualifications MEP et IR. Il totalisait environ 10 000 heures de vol dont environ 2 500 h sur BE 90, 2 000 h sur BAE Jetstream 32, et 650 h sur BE 350, dont les systèmes de dégivrage des ailes sont similaires à celui du Cessna 340. Il a également une expérience de 1 500 h sur Raytheon Premier. Il avait 3 heures de vol sur Cessna 340.
Le pilote indique avoir une bonne expérience des conditions givrantes sur des avions équipés de système de dégivrage pneumatique des bords d’attaque. Il indique qu’en finale, il a demandé au propriétaire de sortir les pleins volets, et selon lui, le propriétaire a répondu que ce n’était pas nécessaire. Le pilote indique qu’il a « pris note » de la réponse du propriétaire et a poursuivi « à contre-cœur » l’approche avec les volets 30.
C’est le deuxième vol qu’il effectuait avec le propriétaire. Il indique que ce dernier est « un excellent pilote », champion de voltige, ayant l’habitude de faire ses approches avec les volets 15, à une vitesse indiquée de 95 kt[4].
Témoignage du propriétaire
Le propriétaire est titulaire d’une licence PPL(A) et des qualifications IR/SE, IR/ME et CRI voltige. Il totalisait environ 1 700 heures de vol, dont environ 800 h sur avions de voltige et 250 h sur le N38CM. Il détient par ailleurs plusieurs titres en voltige.
Le propriétaire ne se souvient pas d’une discussion à propos de la sortie des pleins volets et indique qu’il n’intervient pas dans la conduite du vol lorsqu’il est passager, sauf si le pilote le lui demande.
Il indique avoir dit au pilote de réduire la puissance en arrivant au-dessus de la piste, en vue de l’atterrissage.
Témoignage du pilote assis à l’arrière
Il précise que l’avion est passé d’un état « vol » à un état « décroché » instantanément, sans vibration préalable ou autre signe annonciateur, à une vitesse supérieure d’environ 40 kt à la vitesse de décrochage dans cette configuration. Il ajoute également que des essais de décrochage réalisés précédemment sur cet avion, en conditions non givrantes, montraient l’apparition de vibrations à l’approche du décrochage. D’après les trois occupants, c’est l’empennage horizontal qui a probablement décroché au moment de la réduction de puissance.
Il ajoute que lors du vol aller, au départ d’Orléans, le jour même vers 12 h 50, l’avion qu’ils utilisaient, un Bonanza sans système de dégivrage des ailes, n’a subi aucune contamination par du givre. Il a été surpris qu’au retour, vers 16 h, les conditions soient si différentes et aient évolué dans le sens d’un refroidissement.
Le pilote et lui avaient l’intention de louer l’avion au propriétaire par la suite. Selon lui, la présence du propriétaire en place droite et sa qualité de champion de voltige ont pu inciter le pilote à exécuter l’action de réduction de puissance demandée par le propriétaire.
Septembre 2022
[1] Sur Cessna 340, la commande des volets est située sur la partie droite du panneau d’instruments, à côté des manettes de puissance. Elle comporte quatre positions : 0°, 15°, 30° et 45°.
[2] Les préconisations du manuel de vol sont décrites au § Renseignements sur l'aéronef.
[3] Soit environ 0,6 et 1,2 cm.
[4] À la masse maximale certifiée au décollage, cela correspond à 1,25*Vs, la vitesse de décrochage volets 15 étant de 76 kt.