Accident du Cessna F177 RG immatriculé F-GAAC survenu le 24/02/2021 à Veuzain-sur-Loire (41)
Perte de puissance en croisière, atterrissage forcé
Au cours de la branche retour d’un vol d’agrément, alors que le pilote survolait à basse altitude et à vitesse réduite la rive nord de la Loire, le moteur du Cessna C177 a subi une perte de puissance pour une raison que l’enquête n’a pas pu déterminer. La faible hauteur et la vitesse réduite de l’avion au moment de la panne moteur ont limité les choix de trajectoires et la disponibilité du pilote. Après une rapide et infructueuse recherche de panne, le pilote est parvenu à adapter une trajectoire sensiblement directe pour réaliser un atterrissage forcé dans un champ.
Lors du roulement à l’atterrissage, le changement de nature du sol a provoqué l’affaissement du train d’atterrissage avant. Le niveau d’énergie résiduelle à cet instant a suffi pour générer une blessure au pilote qui n’avait pas attaché son baudrier.
- Heure: 14H18
- Exploitant: Privé
- Nature du vol: Navigation
- Personnes à bord: Pilote et passager
- Conséquences & dommages: Pilote légèrement blessé, avion fortement endommagé
Sauf précision contraire, les heures figurant dans ce rapport sont exprimées en heure locale
Perte de puissance en croisière, atterrissage forcé
1. DÉROULEMENT DU VOL
Note : Les informations suivantes sont principalement issues des données de l’application de navigation SDVFR utilisée par le pilote et des témoignages.
Après une escale d’une heure trente minutes environ, le pilote, accompagné d’un passager, décolle à 14 h 06 de l’aérodrome d’Amboise-Dierre (37) pour un vol retour vers Étampes-Mondésir (91) où est basé l’aéronef et d’où ils ont décollé en cours de matinée. Cinq minutes après le décollage, l’avion atteint l’altitude maximale de 1 600 ft QNH, soit une hauteur de 1 420 ft. Le pilote adopte ensuite une trajectoire descendante qui amène le Cessna à survoler le château d’Amboise à une hauteur de 650 ft qui constitue le point bas de la trajectoire. Dans cette phase de vol, il chemine à vitesse réduite, de l’ordre de 115 kt, en poursuivant le long de la Loire qu’il maintient à sa droite.
À 14 h 16, à une hauteur de 700 ft, le pilote détecte des ratés dans le fonctionnement du moteur. Il entreprend alors une recherche de panne mais ses actions demeurent sans effet sur le moteur qui voit sa puissance progressivement diminuer. Perdant de l’altitude et constatant que compte tenu de sa hauteur il n’a pas d’autre choix, le pilote dirige l’avion dans une zone située sensiblement devant lui pour réaliser un atterrissage forcé.
Dans ce secteur, après avoir hésité entre deux champs proches, il se décide pour le moins long, mais présentant l’approche la plus dégagée. Il sort alors le train d’atterrissage, les volets et atterrit avec une légère composante de vent arrière.
La prise de contact avec le sol a lieu sans événement notable. Malgré l’action de freinage du pilote, l’avion poursuit sa course dans le champ labouré situé dans le prolongement immédiat de la zone d’atterrissage. Après quelques mètres, la roulette de nez cède sous l’effet de la décélération rapide due au changement de nature du sol et à la présence de sillons. Le pilote heurte le pare-soleil et se blesse superficiellement au front. Son passager est indemne.
Figure 1 : trajectoire du F-GAAC
2. RENSEIGNEMENTS COMPLEMENTAIRES
2.1 Renseignements sur le site et l’aéronef accidenté
L’aéronef se trouve au milieu d’un champ de pente nulle dont l’approche est dégagée, orientée sensiblement au 055°, entre une voie de chemin de fer à droite et deux routes départementales, une à gauche et une cinquante mètres plus loin.
Figure 2 : vue d'ensemble du site de l'accident
Le train avant de l’aéronef est rompu et une des deux pales d’hélice est tordue, conséquences de l’atterrissage forcé. Aucun autre endommagement n’est constaté sur l’avion. Du carburant est retrouvé dans les réservoirs avec une quantité estimée entre 80 et 100 l. L’intégrité du circuit carburant a été vérifiée jusqu’au moteur, ainsi que le fonctionnement de la pompe à carburant électrique.
2.2 Examens complémentaires réalisés
2.2.1 Essai au banc du groupe motopropulseur
Le moteur a été prélevé par l’atelier en charge de sa maintenance et testé sur un banc d’essai à l’École Nationale de l’Aviation Civile (ENAC) en présence du BEA. Cet essai n’a mis en évidence aucun dysfonctionnement.
Lors de la dépose du moteur réalisée par l’atelier en charge de sa maintenance , ce dernier a signalé avoir retrouvé la tuyauterie d’alimentation de la pompe à carburant mécanique légèrement desserrée. Le constructeur a été consulté à ce sujet. Il confirme qu’un tel desserrage peut provoquer l’introduction de bulles d’air dans le circuit carburant et donc engendrer une perte de puissance. Cependant, selon le constructeur, cette perte de puissance devrait être limitée et ne pourrait pas conduire à un arrêt moteur. Pour des raisons de sécurité, un essai moteur avec une tuyauterie carburant desserrée n’a pas été réalisé.
Les examens réalisés n’ont mis en évidence aucun autre élément permettant d’expliquer cette perte de puissance.
2.2.2 Contrôle de la qualité du carburant AVGAS 100LL
Le carburant a été analysé et correspond bien à de l’AVGAS 100LL, il n’est pas pollué. Ses caractéristiques physico-chimiques mesurées répondent aux spécifications. Les résultats des analyses menées sur le prélèvement de carburant réalisé dans les réservoirs de l’avion F-GAAC ne permettent pas d’expliquer une perte de puissance du moteur.
2.3 Renseignements sur l'avion
Le Cessna 177 RG est un avion monomoteur métallique quadriplace à train rentrant et ailes hautes, équipé d’un moteur Lycoming de 200 ch.
Au titre des équipements de série, le manuel de vol indique la présence de harnais d’épaules « dont l’ajustement correct permet aux occupants une liberté de mouvement suffisante, tout en les prémunissant des éventuels contacts consécutifs à des mouvements de décélérations brutaux vers l’avant ».
Le F-GAAC est par ailleurs équipé d’un transpondeur et d’une balise de détresse.
2.4 Manoeuvre d'atterissage forcé
2.4.1 Procédure d'atterrissage forcé sans puissance moteur
La procédure « Emergency Landing without engine power » du manuel de vol prévoit dans cette situation les actions suivantes :
- (1) Ajuster et verrouiller, les ceintures (ventrales), les ceintures d’épaules (baudrier),
- (2) Positionner la pompe auxiliaire de carburant sur ON,
- (3) Positionner la manette de mixture sur « idle cut-OFF »,
- (4) Tourner le sélecteur carburant sur la position OFF
, - (5) Sortir le train d’atterrissage si la nature du champ sélectionné le permet,
- (6) Conduire l’approche à 85 mph (soit 74 kt),
- (7) Si le réseau électrique est disponible, sortir les volets comme nécessaire,
- (8) Mettre le Master switch sur OFF,
- (9) Déverrouiller les portes cabines avant l’approche finale.
2.4.2 Pratiques recommandées
Le manuel du pilote d’avion (Éditions Cépaduès. La 18ème édition du Manuel était en vigueur au moment de l’accident) indique dans la section Conduite à tenir du chapitre Atterrissage forcé : « Le moteur s’étant arrêté, vous devez appliquer la procédure définie dans le manuel de vol » et précise que « Selon la gravité de la situation et dans toute la mesure du possible, transmettez un message d’urgence, voire de détresse sur la fréquence de l’organisme avec qui vous êtes en contact. En cas de détresse, n’étant en liaison avec aucun organisme de la circulation aérienne, transmettez votre message sur 121,50 Mhz. De même, si votre avion en est équipé, afficher le code de détresse 7700 au transpondeur. Déclencher la radiobalise de détresse si la position « manuel » est à votre portée ».
Concernant la préparation à l’atterrissage, la consigne suivante est également mentionnée : « Vous devez vous attendre à une décélération importante au moment du contact avec le sol. Avant d’arriver en finale, vous devez avoir déverrouillé la ou les portes d’accès ou de secours ».
2.5 Renseignements météorologiques
D’après les messages METAR des aérodromes de Châteaudun, distant de 65 km, et de Tours-Val de Loire, distant de 33 km, les conditions météorologiques étaient les suivantes :
- à Châteaudun : vent du 170 pour 11 kt, CAVOK, température +19 °C, température du point de rosée +9 °C, QNH 1 027 hPa ;
- à Tours : vent du 180 pour 11 kt, CAVOK, température de +19 °C, température du point de rosée +9 °C, QNH 1 027 hPa.
D’après Météo-France, à l’altitude de vol de l’avion au moment de l’événement, le vent était sensiblement établi au sud, avec une intensité pouvant atteindre 15 kt.
2.6 Renseignements sur le pilote
Le jour de l’accident, le pilote, âgé de 66 ans, détenait une licence de pilote privé avion, assortie d’une qualification monomoteur à pistons (SEP) valide. Il totalisait 321 heures de vol sur avion dont 276 h en qualité de commandant de bord et 180 h sur le F-GAAC de vol. Il totalisait 21 heures de vol dans les six derniers mois, toutes effectuées sur le F-GAAC. Le pilote est propriétaire de cet aéronef. Il a également une expérience en planeur pour avoir débuté une activité vélivole à l’âge de 15 ans et obtenu son brevet l’année suivante. Il indique que cette pratique l’a amené à se vacher (atterrissage en dehors d'un aérodrome) six ou sept fois. Bien qu’ayant interrompu la pratique de cette activité à l’âge de 24 ans, il lui arrivait ces dernières années de voler en passager avec des amis. Son dernier vol en planeur dans ce cadre remontait à 2020.
2.7 Témoignages
2.7.1 Témoignage du pilote
Le pilote indique qu’il avait beaucoup volé le mois précédent et que son avion lui donnait entière satisfaction. Cependant, la veille de l’événement, lors du retour à Étampes après un vol local d’une vingtaine de minutes, il avait ressenti en fin de vent-arrière des ratés dans le fonctionnement du moteur. Il était parvenu à poursuivre son approche et à procéder à un atterrissage normal, mais avait jugé prudent de faire vérifier son avion par l’atelier de maintenance situé sur l’aérodrome qui en assurait habituellement l’entretien. L’examen n’ayant rien révélé d’anormal, il avait maintenu le vol de l’après-midi au cours duquel il n’avait constaté aucune anomalie moteur durant les 95 minutes du vol.
Il précise que lors de la visite prévol du lendemain, il avait effectué les purges des réservoirs qui n’avaient révélé aucune présence d’eau. Concernant le vol retour, il indique que sur cette première partie, il avait choisi une altitude permettant de bien profiter de la vue offerte sur les châteaux de la région et que ses intentions étaient de reprendre une altitude de 2 500ft pour la fin du vol. Puis, avant d’en avoir eu le temps, il a ressenti des ratés moteurs, avec des à-coups mais sans réelle vibration et précise avoir eu le temps de procéder à une recherche rapide de panne, de positionner l’interrupteur de la pompe électrique sur ON et de basculer le sélecteur carburant de la position BOTH vers la position LEFT.
Constatant que ces actions restaient sans effet, le pilote indique que face au peu de temps disponible, « il s’était concentré à 100 % sur sa procédure d’atterrissage » et qu’il n’avait pas eu la possibilité, avant l’atterrissage, de déverrouiller les portes, d’émettre un message radio, d’afficher le code 7700 au transpondeur ou d’activer manuellement l’interrupteur de la balise de détresse. Il estime que l’utilisation des baudriers de ceintures dans son avion n’est utile qu’en présence de turbulences, ou en vol en montagne et ajoute ne pas en avoir fait usage le jour de l’accident.
2.7.2 Témoignage du passager
Le passager indique qu’après avoir ressenti la perte de traction du moteur et avoir vu le pilote agir pour tenter de trouver l’origine de la panne, ce dernier lui a dit « on va se poser ». Il indique que le champ choisi lui est apparu accueillant et qu’il n’a pas eu peur. Il précise qu’il avait volé un peu en planeur il y a environ 25 ans. Il indique qu’il se sentait bien attaché par la ceinture ventrale, mais ignorait que l’avion était équipé en complément d’un baudrier. N’ayant subi aucune blessure, il estime ne pas en avoir eu besoin.
2.8 Choix de l'altitude de croisière
L’AIP France, partie En-Route (ENR) § 1.1. Règles Générales, précise : « Note importante : l’attention des pilotes est attirée sur le fait que durant le jour et au-dessus du territoire français, la plupart des vols d’avions d’armes à basse altitude et grande vitesse sont effectués en dessous de 1 500 ft (450 m) ASFC (*) durant les périodes suivantes : « lundi à vendredi (jours fériés exceptés), de LS (**) -30 à CS (***) +30. En conséquence, il est recommandé aux pilotes VFR, pour autant que cela soit possible et permis, de conduire leurs vols en croisière à partir de 1 500ft ASFC. ». Cette recommandation figure dans un cartouche intégré dans les légendes des cartes aéronautiques au 1/500 000ème éditées par le Service de l’information aéronautique (SIA).
Par ailleurs, une étude de l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) sur des collisions aviaires survenues entre 1999 et 2008, estime que 95 % des collisions sont intervenues à des hauteurs inférieures à 2 500 ft. À la suite d’un accident survenu en 2021, la Fédération Française Aéronautique (FFA) a par ailleurs émis la recommandation de voler à une hauteur de croisière supérieure à 2 500 ft.
(*) Above Surface (au-dessus de la surface du sol).
(**) Lever du soleil.
(***) Coucher du soleil.
3. CONCLUSION
Les conclusions sont uniquement établies à partir des informations dont le BEA a eu connaissance au cours de l’enquête. Elles ne visent nullement à la détermination de fautes ou de responsabilités.
Scénario
Au cours de la branche retour d’un vol d’agrément, alors que le pilote survolait à basse altitude et à vitesse réduite la rive nord de la Loire, le moteur du Cessna C177 a subi une perte de puissance pour une raison que l’enquête n’a pas pu déterminer. La faible hauteur et la vitesse réduite de l’avion au moment de la panne moteur ont limité les choix de trajectoires et la disponibilité du pilote. Après une rapide et infructueuse recherche de panne, le pilote est parvenu à adapter une trajectoire sensiblement directe pour réaliser un atterrissage forcé dans un champ.
Lors du roulement à l’atterrissage, le changement de nature du sol a provoqué l’affaissement du train d’atterrissage avant. Le niveau d’énergie résiduelle à cet instant a suffi pour générer une blessure au pilote qui n’avait pas attaché son baudrier.
Facteur contributif
La méconnaissance de l’utilité du baudrier en complément de la ceinture ventrale a pu contribuer à augmenter les risques de blessures corporelles pour le pilote et son passager.
Enseignements de sécurité
Choix de la hauteur et de la vitesse de vol
Sur avion monomoteur, en situation de perte de puissance, le pilote gère une énergie. Cette dernière a une influence directe sur le temps dont le pilote va disposer avant l’atterrissage. Le maintien du contrôle de la trajectoire restant prioritaire, le pilote va devoir gérer sa charge de travail et possiblement différer ou ne pas réaliser certaines actions.
Il apparaît donc que le choix d’une altitude de croisière suffisamment élevée, quand cela est possible compte tenu des conditions météorologiques et des espaces aériens, permet de donner davantage de temps au pilote dans sa gestion complète d’une panne moteur et permet par ailleurs de réduire la probabilité d’un conflit avec un avion d’armes ou un oiseau (voir § 2.8). Le choix d’une vitesse réduite pour la croisière est une raison supplémentaire pour préférer retenir une altitude supérieure.
Usage des ceintures de sécurité
Le port du baudrier, en complément de la ceinture ventrale, tel que prévu dans certains manuels de vol, permet de retenir le corps des occupants des deux sièges avant. De nature à réduire considérablement le risque de contact avec le tableau de bord, le pare-soleil et le volant en cas de choc violent vers l’avant, son utilisation systématique par les pilotes et les passagers avant contribue à limiter le nombre et la gravité des blessures.
Les enquêtes du BEA ont pour unique objectif l’amélioration de la sécurité aérienne et ne visent nullement à la détermination de fautes ou responsabilités.