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Accidents du Scheibe - SF28 - A immatriculé F-CFJB survenus le 19/12/2021 sur les aérodromes de Vinon-sur-Verdon (83) et d’Eyguières (13)

Atterrissage à côté de la piste, collision avec un arbre pendant le roulement, de nuit

Autorité en charge

France - BEA

Progression de l'enquête Cloturée
Progress: 100%

Rapport d'Enquête cat.3 : rapport sur un événement aux conséquences limités, élaboré à partir d'un ou de plusieurs témoignages n'ayant pas fait l'objet d'une validation indépendante par le BEA.

Note : Les informations suivantes sont principalement issues du témoignage du pilote et d’autres membres du CVVC. Ces informations n'ont pas fait l'objet d'une validation indépendante par le BEA.

1 - DÉROULEMENT DU VOL

Le pilote décolle de l’aérodrome d’Eyguières à 16 h 22 pour effectuer deux tours de piste puis laisser le motoplaneur à un autre pilote avant la nuit aéronautique[1]. Après le décollage, il décide d’aller jusqu’à l’aérodrome de Vinon-sur-Verdon. Les membres du CVVC présents sur l’aérodrome, inquiets de ne pas le voir revenir alors qu’il avait indiqué faire deux tours de piste, découvrent sur OGN[2] qu’il se dirige vers Vinon-sur-Verdon. Ils tentent de le joindre par téléphone et par radio, sans succès (le pilote se souvient qu’en vol, il était euphorique et qu’il a oublié d’allumer la radio et son téléphone portable). Le pilote atterrit à 16 h 58 sur la bande revêtue 28 « avions » de l’aérodrome de Vinon-sur-Verdon. En constatant qu’il a atterri, les membres du CVVC essayent de joindre par téléphone l’Association Aéronautique Verdon Alpilles (AAVA) pour empêcher le pilote de redécoller, sans succès. Ce dernier roule ensuite vers l’aire de stationnement des planeurs en empruntant les voies de circulation C puis R (voir Figure 1) pour rejoindre le point d’attente de la piste 28 « avions » et redécoller. En arrivant sur l’aire de stationnement, le saumon de l’aile gauche du motoplaneur heurte un poteau et le motoplaneur percute la porte d’un hangar avec l’hélice. Le pilote arrête le moteur, constate que la porte du hangar est dégondée et que le saumon de l’aile gauche est cassé. Il ne remarque pas l’endommagement important de l’aile gauche qui est déformée et décide de repartir. Il déplace à la main le motoplaneur puis roule vers le point d’attente de la bande revêtue 28 « avions ». Il décolle à 17 h 19 (soit douze minutes avant la nuit aéronautique[3]) et se dirige vers l’aérodrome d’Eyguières.
Durant le trajet, en raison de la forte baisse de la luminosité, il est contraint d’éclairer les instruments avec la lumière de son téléphone portable. En se guidant à l’aide des éclairages au sol, il parvient à rejoindre Salon-de-Provence qu’il contourne par le sud puis vise l’intérieur de l’enceinte de l’aérodrome d’Eyguières pour atterrir en piste 33, sans avoir visuel sur celle-ci. Entre-temps, les membres du CVVC allument les lumières du hangar, puis se rendent au seuil de la piste 33 en voiture pour l’éclairer avec leurs phares. Cependant, lorsqu’ils arrivent sur place, le motoplaneur est déjà en train d’atterrir. Le pilote atterrit à l’intérieur de l’enceinte de l’aérodrome, à 17 h 52 (soit dix-sept minutes après le début de la nuit aéronautique) mais à environ 150 m à gauche de la piste 33 non-revêtue. Lors du roulement à l’atterrissage, le planeur heurte un arbre et l’aile droite est arrachée.
Après l’immobilisation de l’aéronef, le pilote sort seul du motoplaneur. Les membres du CVVC venus lui porter assistance constatent alors qu’il a un comportement anormal. Un dépistage d’alcool réalisé par les forces de l’ordre peu après l’accident s’avère positif.

2 - RENSEIGNEMENTS COMPLÉMENTAIRES
2.1 Renseignements sur l’aérodrome de Vinon-sur-Verdon

L’aérodrome n’est pas agréé VFR de nuit. La carte VAC indique que l’aérodrome est limité aux aéronefs avec une envergure inférieure à 15 m, à l’exception des motoplaneurs.
La carte VAC précise, après l’atterrissage sur la bande revêtue 28 « circuits avions », d’effectuer un dégagement « main gauche » en HS1 ou par la voie de circulation S (voir Figure 1).

2.2 Renseignements sur l’aérodrome d’Eyguières

L’aérodrome n’est pas agréé VFR de nuit, il n’est équipé d’aucun balisage lumineux. Il est doté de deux pistes en herbe sécantes. La piste 33 non-revêtue mesure 1 220 m de long et 150 m de large (voir Figure 2).

2.3 Renseignements sur sur le pilote

Le pilote, âgé de 60 ans, détient une licence de pilote de planeur depuis 2001 et la qualification motoplaneur (TMG). Il ne détient pas la qualification VFR de nuit. D’après son carnet de vol, il totalise environ 475 heures de vol et 15 h 30 dans les trois mois précédents dont environ huit sur type. Le pilote déclare totaliser environ 280 heures de vol sur SF28. En 2021, il a effectué 30 h environ sur le F-CFJB. Il est membre du CVVC depuis 1999, et selon le président, c’était quelqu’un de très discipliné et de très expérimenté sur le SF28, sans problème d’alcool connu au sein du CVVC jusqu’alors.
Après l’accident, un test d’alcoolémie réalisé vers 19 h avec un éthylomètre a relevé un taux d’alcool de 0,44 mg/l d’air expiré. Les modèles de décroissance du taux d’alcool en fonction du temps permettent de déduire qu’au cours du vol, le taux d’alcool du pilote a pu varier entre 0,52 et 0,67 mg/l d’air expiré.

2.4 Dégradations des capacités liées à l’alcool

Le Manuel du pilote d’avion CEPADUES 17ème édition rappelle que l’alcool et les drogues constituent un risque grave pour la sécurité des vols, y compris en aviation générale. Les dégradations de performances associées sont en effet considérables : augmentation des temps de réflexe, altération des capacités de jugement, perturbation de l’appréciation des risques, aggravation des illusions sensorielles. Il n’est pas nécessaire d’être en état d’ébriété notable pour que ces effets apparaissent.
Le règlement européen (UE) n°965/2012 dit « AIR OPS[4] » indique dans son annexe VII - Part NCO[5] applicable à l’exploitation d’aéronefs à motorisation non-complexe à des fins non-commerciale que « le pilote commandant de bord est responsable de ne pas entreprendre un vol s’il est dans l'incapacité d'assurer des tâches pour une raison quelconque, du fait d'une blessure, d'une maladie, de la fatigue ou des effets de psychotropes[6] ».

Un Bulletin d’information sur la Sécurité (SIB 2018-07 : « Blood Alcohol Concentration Limits for General Aviation Pilots ») a été mis en ligne le 12 avril 2018 sur le site internet de l’Agence Européenne de la Sécurité Aérienne (AESA). Le document clarifie l’exigence mentionnée précédemment en indiquant que lors de l'exécution de tâches liées à l'exploitation d'un aéronef, y compris la préparation du vol, la concentration d'alcool dans l'air expiré ne devrait pas dépasser la plus petite des deux valeurs suivantes : la limite nationale ou 0,09 mg/l d’air expiré.
À cet effet, le SIB recommande de s'abstenir de consommer de l’alcool huit heures avant l’exécution de tâches liées à l’exploitation d’un aéronef, y compris la préparation du vol, et d’augmenter cette durée si besoin afin de tenir compte de la quantité d'alcool consommée.
Le SIB signale que les organismes de formation des pilotes et les aéroclubs doivent tenir compte de ces recommandations dans le cadre de leurs responsabilités en matière de gestion des risques ; et que les autorités compétentes doivent tenir compte de ces recommandations dans le cadre de leur surveillance des pilotes d'aviation générale opérant sous leur responsabilité.

2.5 Témoignages

Le pilote indique qu’il a demandé à un ami pilote de le rejoindre à son hangar, sur l’aérodrome, car il était déprimé et voulait se changer les idées. Son ami explique que lorsqu’il est arrivé à 14 h, le pilote lui a proposé de voler. Il a accepté et a fait la visite prévol tandis que le pilote fermait son hangar, puis cet ami a attendu un long moment à l’extérieur du motoplaneur que le pilote le rejoigne. Le pilote indique qu’il y avait une bouteille de whisky dans son hangar et qu’il a bu deux verres peu de temps avant d’aller au motoplaneur.
Avant de s’installer dans le motoplaneur, le pilote a échangé avec un instructeur à qui il a expliqué « qu’il avait eu dans le passé des soucis avec l’alcool mais que c’était réglé »[7]. En s’installant dans le motoplaneur, le pilote a indiqué à son ami qu’il n’avait pas les clés. Celui-ci est allé les chercher et en revenant, a proposé de reporter le vol au lendemain, vu l’heure avancée (environ 16 h 30). Le pilote a refusé et a dit qu’il faisait deux tours de piste. Son ami est resté au sol.

L’ami du pilote déclare qu’il portait un masque pour raisons sanitaires (COVID-19) et n’a pas senti d’odeur d’alcool. Plusieurs personnes ayant discuté avec le pilote avant le vol assurent ne rien avoir remarqué d’anormal dans son comportement[8].
Le pilote explique qu’il n’avait pas de montre et que lorsqu’il est reparti de Vinon-sur-Verdon, il ignorait l’heure. Il a néanmoins estimé qu’il faisait encore assez clair pour décoller et c’est sur le retour, un peu dégrisé, qu’il a pris conscience qu’il faisait nuit. Il éclairait par intermittence l’altimètre, l’anémomètre, le variomètre et le compas avec son téléphone portable. Lors de l’atterrissage à Eyguières, il n’a pas vu les phares des voitures qui éclairaient la piste. Il précise que malgré la situation, à aucun moment, il n’a pensé à demander de l’aide par radio ou par téléphone.


[1] Heure du coucher du soleil à Eyguières : 17 h 05.

[2] Open Glider Network (Le motoplaneur était équipé d’un FLARM)

[3] Heure du coucher du soleil à Vinon-sur-Verdon : 17h 01.

[5] Non-Commercial Other than complex aircraft.

[6] Tout produit ou substance chimique qui altère les fonctions du cerveau et induit des modifications de la perception, des sensations, de l’humeur, de la conscience ou d’autres fonctions psychologiques ou comportementales. L’alcool est une substance psychotrope.

[7] Un témoin indique avoir vu le pilote, deux ou trois ans auparavant, boire un ou deux verres d’alcool dans son hangar et que ce jour-là, il n’avait pas volé. Un malade alcoolique, y compris et surtout lorsqu’il est abstinent, est en danger dès lors que l’alcool lui devient accessible.

[8] L’attention se porte en général sur l’état d’ivresse (manifestation la plus connue d’intoxication produite par l’alcool) qui est un signal d’alerte tardif. Or, dans le cas d’un malade alcoolique, au stade de la dépendance qui touche environ 10 à 15 % de consommateurs, celui-ci peut présenter peu de symptômes visibles, ou bien dissimuler volontairement une alcoolisation parfois importante.

Figure 1 : Extrait carte VAC aérodrome Vinon-sur-Verdon (source SIA)
Figure 2 : Extrait carte VAC aérodrome Eyguières (source SIA)