Accident d'un ASW20 immatriculé F-CGCQ, le 07/06/2013 à Mantes-Chérence (95)
"Cartwheel" lors du lancement au treuil
1 - DÉROULEMENT DU VOL
Le pilote se prépare à décoller au treuil. Il positionne le planeur dans l’axe de la piste 12, à quelques dizaines de mètres en amont de l’extrémité de piste. A cet endroit, l’herbe a une hauteur d’environ vingt centimètres. Contrairement à la piste, cette surface n’a pas été récemment fauchée.
Lors du roulement au décollage, un assistant maintient l’aile gauche du planeur à l’horizontale. Il accompagne le planeur sur quelques mètres, puis lâche l’aile. Il explique qu’à partir de cet instant il a vu l’aile gauche du planeur descendre progressivement. Au moment où elle a touché le sol, le planeur s’est levé et s’est retourné avant de heurter le sol à plat sur le dos.
Le conducteur du treuil a stoppé la traction du câble du treuil puis il a actionné le bouton d’arrêt d’urgence. Le planeur est resté lié au câble.
2 - RENSEIGNEMENTS COMPLÉMENTAIRES
2.1 Renseignements sur la météorologie
Selon un pilote instructeur en vol au-dessus des installations au moment de l’événement, les conditions atmosphériques étaient « bonnes », le vent venait du 090 pour 20 km/h.
Un second témoin indique que le pilote du planeur a observé la manche à air de la piste alors qu’il accomplissait les vérifications préliminaires au décollage et qu’il a indiqué « qu’il y avait une petite correction à gauche, à faire ».
2.2 Renseignements sur le pilote
Copropriétaire du planeur, le pilote était instructeur et formateur d’instructeurs et totalisait environ 7 000 heures de vol.
Durant les quinze jours précédant l’accident, il a accompli, à bord du F-CGCQ, trois lancements au treuil ainsi qu’un vol remorqué.
2.3 Procédure de lancement d’un planeur au treuil
L’activité treuil proprement dite n’est pas soumise à une réglementation spécifique. La Fédération Française de Vol à Voile (FFVV) a édité le « livret de lancement des planeurs au treuil ». Ce document sert de référence aux aéroclubs pour la pratique de cette activité.
L’Association Aéronautique du Val d’Oise (AAVO) dispose d’un « règlement particulier de circulation au sol et consignes générales de décollage des planeurs en remorqués et au treuil ». Pour le QFU12, ce document définit, entre autres, les zones de stationnement et de stockage (planeurs alignés, sur la piste, prêts à décoller, cf. figure 2), et les bandes de décollage et d’atterrissage tel que sur la figure 2 ci-dessous :
Lors d’un lancement au treuil, le départ du planeur doit impérativement se faire avec une inclinaison nulle, dans l’alignement de la traction du câble. Durant les premiers mètres du roulement, un assistant maintient les ailes parallèles au sol pour assurer l’équilibre latéral du planeur.
Par la suite, le pilote doit maintenir l’inclinaison du planeur nulle et tenir l’axe de décollage. Il doit assurer la montée initiale de sécurité (décollage) puis maintenir la trajectoire du planeur sur la pente optimale de montée jusqu’au largage automatique ou commandé.
Nota : à la date de l’accident, il n’existait pas de procédure publiée en cas de déstabilisation du planeur lors de la phase de roulement.
2.4 Particularités du lancement d’un planeur au treuil
La longueur déroulée du câble du treuil est un des paramètres qui définit la hauteur du planeur au moment du largage. Plus cette longueur au sol est importante et plus la hauteur de largage pourra être élevée, ce qui permet ainsi de mieux appréhender les contraintes aérologiques locales.
2.5 Renseignements sur le planeur de type ASW20
Il s’agit d’un planeur en composite équipé d’un train d’atterrissage rétractable mono-roue. Il est certifié pour décoller au treuil et dispose de deux crochets pour les décollages :
- le premier, destiné au remorquage, est situé à l’avant du planeur ;
- le second, réservé au treuillage, est situé plus en retrait, à l’avant de la roue, à proximité du centre de gravité du planeur.
2.6 Influences de la position du crochet de treuillage sur le comportement du planeur
Au cours de la treuillée, après la rotation lorsque la vitesse de montée est atteinte, le pilote doit maintenir cette vitesse et suivre une pente de montée (de l’ordre de 45°) afin d’atteindre l’altitude optimale jusqu’au largage du câble. La position du crochet de treuillage, proche du centre de gravité, permet au pilote de garder le contrôle de l’angle de tangage(1).
En contrepartie, lors du roulement au décollage(2), la faible distance entre le point où s’exerce la traction du câble et le centre de gravité du planeur ne permet pas de disposer d’un couple de rappel important en cas de déstabilisation du planeur.
La phase de roulement est d’autant plus instable que :
- le planeur roule sur une seule roue sur une surface irrégulière ;
- la vitesse du planeur dans la masse d’air est relativement faible et l’efficacité des gouvernes n’est pas encore établie.
2.7 Passage sur le dos d’un planeur au décollage
La British Gliding Association(3) (BGA), équivalent en Grande Bretagne de la FFVV, a recensé différents types d’accidents susceptibles de se produire au cours d’un lancement au treuil. Selon ce classement, l’accident survenu au F-CGCQ est caractéristique d’un type d’accident appelé « Cartwheel ».
Durant l’évolution proche du sol, l’inclinaison du planeur peut provoquer le contact de la demi-aile avec un obstacle ou le sol, qui engendre une trainée dissymétrique et déstabilise le planeur.
Ce dernier aura tendance à pivoter autour du point de contact alors qu’il continue d’être entrainé par le câble. Cette rotation génère un différentiel de vitesse entre les deux demi-ailes et donc un différentiel de portance qui entraîne alors le passage du planeur sur le dos.
S’il ne peut garder les ailes horizontales, le pilote doit larguer le câble avant le contact avec le sol car le phénomène de basculement de l’aile est divergent et sa récupération quasiment impossible.
Pour prévenir cette situation, la BGA recommande aux pilotes de « tenir fermement » la poignée de largage du câble pendant la phase initiale de décollage afin de réduire le temps de réaction au minimum.
Il est à noter que la BGA a identifié que ce type d’accidents arrivait à des pilotes expérimentés, ces derniers ayant tendance à tenter de contrôler l’inclinaison du planeur plutôt que de larguer le câble du treuil.
Selon plusieurs témoins, le pilote connaissait ce phénomène et la procédure à appliquer en de telles circonstances.
2.8 Influence de la hauteur de l’herbe sur le comportement du planeur au décollage
Le planeur a décollé d’une zone où l’herbe n’avait pas été fauchée récemment. Lorsque le planeur s’est incliné sur la gauche, le contact entre la demi-aile et l’herbe haute l’a vraisemblablement freinée et entrainé une rotation du planeur autour de son axe de lacet générant le phénomène de « Cartwheel ».
La hauteur de l’herbe définie dans la réglementation concerne la piste et non pas ses abords(4).
L’arrêté du 28 août 2003 relatif aux conditions d’homologation et aux procédures d’exploitation des aérodromes (CHEA) ne mentionne pas une hauteur d’herbe en centimètres mais préconise une « hauteur raisonnable ».
Le « guide d’information relatif à l’exploitation des aérodromes publics d’aviation générale(5) » préconise un fauchage régulier afin de limiter la hauteur du tapis herbeux entre 5 et 10 cm de la surface du sol de la bande de piste.
Depuis cet accident la FFVV recommande une hauteur d’herbe inférieure à 10 cm.
3 - ENSEIGNEMENTS ET CONCLUSION
L’enquête n’a pas permis de déterminer l’origine de la perte de contrôle en roulis du planeur lors du roulement au décollage.
L’herbe haute a vraisemblablement contribué à la déstabilisation du planeur lors du roulement au décollage.
Il n’y avait pas de procédure publiée en cas de déstabilisation du planeur lors de la phase de roulement à la date de l’accident. Cependant, le pilote connaissait ce phénomène de « Cartwheel » . Deux hypothèses pourraient expliquer le fait qu’il n’ait pas largué le câble :
- le pilote a pu se laisser surprendre par la rapidité du phénomène et/ou il n’a pas réussi à atteindre la poignée de largage suffisamment rapidement pour larguer le câble en sécurité ;
- le pilote, expérimenté, a pu retarder la décision de largage du câble pour tenter de maîtriser l’inclinaison du planeur.
Depuis cet accident la FFVV a modifié l’aide-mémoire « le décollage au treuil en sécurité ». Elle préconise de démarrer la treuillée avec la main sur la poignée de largage. Elle incite également à larguer immédiatement le câble du treuil si le pilote n’a pas la possibilité de garder les ailes du planeur horizontales.
L’enquête a montré qu’une certaine pratique consistait à augmenter la longueur du câble en positionnant les planeurs en amont des seuils de piste. L’utilisation de cette zone de décollage constituait une dérive connue au regard des consignes du club. Cette dérive affaiblissait le niveau de sécurité des vols et a contribué à l’accident.
La prévention des accidents consiste, entre autres, à lister les dérives, les analyser et appliquer des remèdes pour maintenir les pratiques d’utilisation des aéronefs au meilleur niveau de sécurité possible.
(1)Une incidence trop importante pourrait conduire à un décrochage dynamique, une incidence trop faible à une vitesse excessive.
(2)Le roulement au décollage dure environ quatre secondes et sa dynamique est importante.
(3)www.gliding. co.uk/bgainfo/safety/ winch-safety.htm
(4)« Les surfaces de dégagement aéronautiques » Ce sont des surfaces définissant autour des aérodromes des volumes qu’il convient de garder libre de tout obstacle. Leurs caractéristiques varient en fonction du code de référence de la piste ou des pistes de l’aérodrome (cf. supra) et de leur mode d’exploitation (à vue de jour et de nuit, aux instruments). Les surfaces de dégagement définissent les hauteurs que ne devraient pas dépasser les objets de manière à ne pas porter atteinte à sécurité des aéronefs.
(5)www. developpement-durable.gouv.fr/ document155039