Arrêt du moteur en croisière, atterrissage forcé en campagne, basculement sur le dos
Arrêt du moteur en croisière, atterrissage forcé en campagne, basculement sur le dos
1 - DÉROULEMENT DU VOL
Le pilote, accompagné d’un passager, décolle de l’aérodrome de Lille Marcq-en-Baroeul (59) pour rejoindre l’aérodrome de Burgos en Espagne. Après une brève escale sur l’aérodrome de Dieppe Saint-Aubin (76), il poursuit son vol vers l’aérodrome du Havre Octeville (76) pour ravitailler en carburant. Alors qu’il se trouve en croisière à cinq minutes de vol de l’aérodrome à une hauteur d’environ 900 ft, le moteur a des ratés puis s’arrête. Le pilote effectue un atterrissage forcé dans un champ de blé. Quelques mètres après le toucher des roues, l’avion bascule sur le dos.
2 - RENSEIGNEMENTS COMPLÉMENTAIRES
2.1 Renseignements sur le pilote
Le pilote est titulaire d’une licence américaine ATP(1) du 29 juin 2013 et d’une licence française de pilote privé de 2002.
Il totalise environ 1 900 heures de vol depuis 2002. Il n’enregistre pas sur son carnet de vol ses activités aériennes sur Piper J3C. Il a déclaré avoir une expérience de 30 heures de vol sur Piper J3C. Il a réalisé environ 1 h 30 de vol sur le N61903 et ce, dans les trois derniers mois.
2.2 Renseignements sur l’avion
Construit en 1942 et accidenté en 1971, l’avion a été reconstruit et a fait l’objet en 2010 de modifications, notamment la mise en place d’un moteur Continental C-85(2) et d’un réservoir secondaire dans l’aile gauche. Ces opérations ont été réalisées aux Etats-Unis par un mécanicien qualifié.
L’avion a été acheté en copropriété fin 2012 par le pilote et le passager et importé des Etats-Unis.
Le 21 mars 2014, un atelier de maintenance belge, certifié EASA part M, a effectué l’inspection annuelle de la cellule et du moteur. Au moment de l’accident, l’avion totalisait 4 heures d’utilisation depuis la révision annuelle.
2.3 Circuit carburant
L’avion était équipé d’un réservoir principal, à l’avant de l’avion, de douze gallons (46,5 litres)(3) et d’un réservoir secondaire de douze gallons dans l’aile. Un sélecteur permettait de transférer par gravité le carburant du réservoir secondaire vers le principal. Le moteur était alimenté par gravité par le réservoir principal.
Le manuel de vol indique de ne pas voler avec moins de un gallon dans le réservoir principal.
Le réservoir secondaire, installé selon un STC « Supplementary Type Certificate » d’Aero Fabricators, disposait d’un bouchon de fermeture avec un évent. Selon la fermeture du bouchon, l’ouverture de l’évent était orientée soit vers l’avant soit vers l’arrière de l’avion (voir photos ci-après). Aucune consigne relative à son orientation n’existait. Aero Fabricators a indiqué que l’évent positionné vers l’avant permet à l’air de remplacer le carburant s’écoulant vers le réservoir principal. Le STC et le supplément au manuel de vol précisent de transférer le carburant en vol horizontal quand la quantité de carburant dans le réservoir principal est égale à la moitié ou moins(4).
Le STC(5) permettant l’ajout du réservoir supplémentaire n’est pas applicable aux Piper J3C équipé d’un moteur de type C-85. L’installation de ce réservoir supplémentaire a été réalisée en même temps que l’installation de ce moteur. L’enquête n’a pas permis de déterminer les raisons qui ont conduit à cette configuration non conforme.
L’enquête n’a pas permis de déterminer les raisons pour lesquelles ce STC n’était pas applicable aux moteurs de type C-85.
L’avion disposait d’un seul indicateur de quantité de carburant de type « tige » avec un flotteur seulement au niveau du réservoir principal.
Le 8 avril 2014, le pilote avait fait installer un débitmètre qui fournissait la consommation instantanée et la quantité de carburant consommée.
2.4 Examen de l’épave et essais du moteur
Les constatations sur le site de l’accident ont montré que le réservoir principal était vide et que le réservoir secondaire n’était pas complètement rempli. La quantité de carburant au moment de l’accident n’a pu être déterminée car des écoulements de carburant ont été observés par l’évent lorsque l’avion reposait sur le dos. Le transfert de carburant du réservoir secondaire vers le principal a été testé et un fonctionnement par gravité a été constaté. Au niveau de l’indicateur de quantité de carburant du réservoir principal, des frottements importants de la tige dans le filoir ont été constatés, liés aux déformations de la tige.
Lors des essais du moteur, réalisés au sol à un régime de 1 700 tr/min(6), l’avion a été positionné selon une assiette proche de celle du vol de croisière. Il a été constaté un fonctionnement normal du moteur. Cependant pour chaque démarrage, il a fallu réinjecter, par action sur la manette du « Primer », du carburant dans les cylindres avant d’actionner le démarreur.
Lorsque la quantité de carburant dans le réservoir principal est devenue faible, le transfert de carburant du réservoir secondaire a été mis en fonctionnement. Les essais ont abouti à l’arrêt du moteur au bout de quelques minutes par manque de carburant dans le réservoir principal. L’influence de la position de l’évent du réservoir secondaire n’a pas pu être déterminée lors des essais.
2.5 Témoignages
La veille du vol, le pilote avait effectué le plein complet des deux réservoirs. Lors de la fermeture du bouchon du réservoir secondaire, il a repositionné le bouchon à 180° de sa position initiale, soit avec l’évent orienté vers l’arrière, car il a constaté que le bouchon fermait mal dans sa position initiale.
Lors de l’étape Lille - Dieppe, le transfert était sur « Off ». Il a noté une consommation horaire de cinq gallons au débitmètre à la vitesse de croisière de 65 kt et un temps de vol de 1 h 25.
Quinze minutes après le décollage de Dieppe, il a indiqué avoir consommé environ sept à huit gallons selon le débitmètre depuis Lille et a vu que la hauteur de la tige de l’indicateur de quantité de carburant était de 2 à 3 cm. Il a alors décidé de procéder au transfert du carburant du réservoir secondaire. Durant le transfert, il n’a pas constaté un accroissement de la hauteur de la tige. Dix minutes plus tard, le moteur a eu quelques ratés puis s’est arrêté. Le pilote a tenté de rallumer le moteur sans succès. Il n’a pas utilisé le « Primer »(7).
Il avait fait installer le débitmètre car il considérait que l’indicateur de quantité de carburant du réservoir principal n’était ni fiable ni précis. Il n’avait jamais utilisé le transfert lors de ses quelques vols sur le Piper N61903.
2.6 Performances
La consommation horaire de carburant en vol de croisière d’un moteur continental de 85 ch est donnée pour 5,4 gallons. Un calcul théorique de la quantité de carburant consommée depuis Lille jusqu’à la verticale de Rolleville aboutit à onze gallons environ.
Cette consommation est par ailleurs cohérente avec celle constatée par le pilote lors du vol entre Lille et Dieppe.
3 - ENSEIGNEMENT ET CONCLUSION
Le moteur s’est arrêté par défaut d’alimentation en carburant.
Le calcul de consommation théorique du moteur montre qu’il est possible que le pilote ait oublié d’actionner le transfert de carburant entre les deux réservoirs. Il est également possible que le transfert ait été fait tardivement, et que le débit de transfert entre les deux réservoirs ne permettait alors pas de remplir suffisamment le réservoir principal pour alimenter le moteur. Cette hypothèse est confirmée par les essais du moteur réalisés au sol.
Le STC concernant le réservoir supplémentaire n’était pas prévu pour la motorisation du N61903. L’enquête n’a pas permis de déterminer les raisons qui ont permis à un mécanicien agréé par la FAA d’appliquer le STC sur cet avion. Il n’a pas été possible non plus de déterminer les raisons pour lesquelles ce STC n’était pas applicable au moteur de type C-85.
(1)« Airline Transport Pilot - airplane multi engine and single engine - commercial privileges »..
(2)A la place d’un moteur Continental C-65 installé initialement.
(3)Le terme « gallon » utilisé dans ce rapport représente le gallon liquide américain, soit 3,875 litres.
(4)La consigne, écrite dans l’avion près du sélecteur de transfert, indique quant à elle qu’il faut effectuer le transfert quand la quantité de carburant dans le réservoir principal est égale au tiers ou moins. Aero Fabricators n’a pas de réponse à cette consigne différente.
(5)Ce STC a été publié le 24 septembre 1981.
(6)Le régime de croisière est de 2 400 tr/min.
(7)Le « Primer » n’est normalement utilisé que pour les démarrages au sol, moteur froid.