Atterrissage dur, procédure de maintenance en escale inappropriée, décollage avec un avion fortement endommagé
Atterrissage dur, procédure de maintenance en escale inappropriée, décollage avec un avion fortement endommagé
Déroulement du vol
Les éléments suivants sont issus des données enregistrées dans le QAR et des témoignages. Le CVR n'était plus disponible.
Vol Paris - Caracas
Le 13 avril 2011, à 8 h 55, l'équipage décolle de l'aérodrome de Paris Charles de Gaulle, à destination de Caracas (Venezuela).
La présence de plusieurs cellules orageuses, de pluie et de vent arrière sur la trajectoire est évoquée lors du briefing « arrivée » effectué quinze minutes avant la descente. Les informations ATIS ne sont pas disponibles.
Le commandant de bord est PF. Il est autorisé pour une approche ILS en piste 10. Le service du contrôle d'approche régule le trafic au radar. L'approche est réalisée hors des masses nuageuses visibles au radar de bord.
Le début de l'approche est effectué avec l'AP et l'A/THR engagés.
L'avion est aligné sur le localizer à 10 NM du seuil et intercepte le plan de descente à 6 NM.
L'équipage sélectionne une vitesse de 136 kt qui correspond à la vitesse d'approche Vapp. Quelques instants après, l'AP et l'A/THR sont déconnectés et la commande Becs/Volets est positionnée sur « FULL ».
Au premier contact radio avec la tour de contrôle, le contrôleur répond « Roger, wind zero six zero ten knots, report on short final, windshear on final one mile ».
Au passage des 1000 ft AAL(1), l'équipage voit la piste. La vitesse verticale est d'environ - 950 ft/min. L'assiette est de - 0,4° et l'angle de roulis est de 3° à droite. La vitesse indiquée (CAS) est de 153 kt (Vapp + 17 kt), en diminution progressive jusqu'à la vitesse d'approche.
Peu avant le passage des 500 ft AAL, des écarts sont annoncés par le PNF et sont corrigés par le PF. En particulier, lorsque l'angle de roulis atteint 9° à gauche, le mini-manche du commandant de bord est positionné en butée à droite. De même, à la hauteur de 200 ft, le PF considère être au-dessus du plan de descente. Le PNF annonce un écart de vitesse, la CAS étant passé rapidement de 138 kt à 153 kt (Vapp+17 kt). Le PF corrige et vise un toucher des roues aux plots.
Il applique deux ordres à piquer et les manettes de commande de poussée sont progressivement reculées (jusqu'à l'atterrissage). L'assiette devient légèrement négative et la vitesse verticale augmente.
A la hauteur de 50 ft, le PF applique un ordre maintenu à cabrer et l'assiette augmente. La CAS est de 136 kt en diminution. A environ 35 ft, une alarme GPWS « Sink Rate » est générée.
L'avion atterrit à 18 h 55 min 25 avec une assiette de 5°. L'accélération normale enregistrée est alors de 2,74 g et la vitesse verticale calculée de - 1 200 ft/min environ.
Il n'y a pas eu d'alarme « windshear ».
Opérations en escale
Le commandant de bord inscrit l'atterrissage dur sur l'ATL(2) de l'avion.
L'équipe technique de l'escale Air France met en œuvre une note technique spécifique aux atterrissages durs, contenue dans la documentation de bord. Cette équipe indique que lors de ces opérations aucun rapport R15 (Load Report généré et envoyé automatiquement au MCC(3) en cas d'atterrissage dur) ne correspond à cet atterrissage.
La synthèse des informations reçues conduit les mécaniciens à la décision qu'aucune vérification approfondie n'est nécessaire ; l'APRS(4) est signée.
Vol Caracas - Paris
L'équipage de relève prend l'avion en compte. La visite extérieure, effectuée par le PNF accompagné d'un technicien en escale, n'amène aucune observation particulière.
Vers 23 h 00, l'équipage décolle à destination de Paris Charles de Gaulle. En début de montée initiale, il est dans l'impossibilité de rentrer le train d'atterrissage. Plusieurs alarmes liées au conditionnement cabine se déclenchent et s'affichent à l'ECAM. Le commandant de bord décide de revenir atterrir à Caracas. Après avoir consommé le carburant en excès, l'équipage atterrit à une masse voisine de celle maximale certifiée.
Au parking, de nombreux dégâts sont observés sur le train d'atterrissage droit et sur la structure du fuselage.
Enseignements et conclusion
Décision de poursuivre l'approche
Lors de l'atterrissage à Caracas, l'avion a subi de nombreuses variations de vent en direction et en force. Dans ces conditions, en pilotage manuel et sans l'A/THR engagée, le PF a été confronté à une charge de travail importante. Les écarts de trajectoire annoncés par le PNF ont généré des corrections de trajectoire de la part du PF. Ces corrections ont été jugées suffisantes par l'équipage et ce dernier a décidé de poursuivre jusqu'à l'atterrissage.
L'approche n'était plus stabilisée en dessous de 500 ft malgré la diminution des écarts annoncés. Juste avant l'atterrissage, des changements de direction de vent, combinés à un ordre à piquer du PF, ont provoqué l'augmentation de la vitesse verticale. L'absence d'ajustement de poussée a entraîné une diminution de la vitesse (CAS).
Inspection des dommages
A l'arrivée du premier vol, les dégâts internes au train d'atterrissage n'étaient pas visibles de l'extérieur. La hauteur de chrome apparente au bas du piston mobile de l'amortisseur n'était pas en mesure d'attirer l'attention de l'équipe technique ni celle de l'équipage. Il est vraisemblable que la destruction de l'amortisseur se soit poursuivie lors du vol retour : au roulage sur un revêtement inégal, ou à la rotation au décollage à masse élevée, ou à l'atterrissage proche de la masse maximale autorisée, ou encore une combinaison de ceux-ci.
Dans les conditions de visibilité rapportées (faible luminosité, forte pluie), les dommages de la cellule étaient difficilement détectables. Néanmoins, l'application des procédures prévues dans l'AMM en cas d'atterrissage dur, garantissant le suivi de navigabilité de l'avion, aurait permis de constater les dommages et d'entreprendre des vérifications approfondies. Ces dernières n'ont pas été effectuées par l'équipe technique, induite en erreur par une note technique inadaptée présente dans la documentation de bord.
L'absence d'analyse des paramètres enregistrés dans le QAR et/ou le DFDR a conduit à un diagnostic final erroné puis à la remise en service d'un avion fortement endommagé.
Une NT ne peut pas servir de support d'exécution de tâches d'entretien : c'est un document d'aide qui ne doit pas se substituer à l'AMM. Elle doit être considérée comme un document non pérenne dans le temps et un processus de contrôle doit assurer une revue de ces notes.
Les NT ne font pas l'objet d'audits spécifiques et ne font pas partie des documents réglementaires encadrés par le système de maintien de la navigabilité de la compagnie et surveillés par l'Organisme pour la Sécurité de l'Aviation Civile (OSAC). Elles peuvent toutefois être vérifiées par sondage lors des audits de surveillance réalisés par l'OSAC (comme lors d'audits de chantier d'entretien par exemple).
A la suite de cet accident, la compagnie a abrogé les deux notes techniques citées.
L'AMM ne prévoit pas explicitement l'absence de rapport R15, cela peut conduire à une compréhension erronée des actions de maintenance à effectuer.
Absence d'émission de rapport R15
Un problème interne au DMU a entraîné la perte de communication entre l'équipement et le système de transmission des informations de l'avion. Ce dysfonctionnement, déjà identifié par l'équipementier, a bloqué l'envoi du rapport R15. Les informations n'étaient pas affichées sur la page dédiée du MCDU. L'équipe technique en escale n'a pas eu accès aux informations stockées. L'enquête n'a pas permis d'identifier les causes empêchant l'affichage du rapport sur la page dédiée du MCDU et son envoi par ACARS.
Causes
L'atterrissage dur est dû à la poursuite de l'atterrissage alors que les écarts de trajectoire constatés auraient dû conduire à une remise de gaz. La charge de travail générée par le pilotage sans assistance de l'A/THR, dans des conditions météorologiques dégradées est un facteur contributif.
Cet atterrissage dur a provoqué l'implosion, non décelable au sol à l'escale, du piston fixe de l'amortisseur du train d'atterrissage droit. Ceci a rendu impossible la rentrée du train lors du vol retour.
L'utilisation des notes techniques inadéquates de l'exploitant en vigueur le jour de l'événement et l'absence d'émission de rapport R15 n'ont pas permis de détecter les dommages provoqués par l'atterrissage dur. Ceci a conduit au départ d'un vol commercial avec un avion fortement endommagé.
Recommandations
Rappel : conformément aux dispositions de l'article 17.3 du règlement n° 996/2010 du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 sur les enquêtes et la prévention des accidents et des incidents dans l'aviation civile, une recommandation de sécurité ne constitue en aucun cas une présomption de faute ou de responsabilité dans un accident, un incident grave ou un incident. Les destinataires des recommandations de sécurité rendent compte à l'autorité responsable des enquêtes de sécurité qui les a émises, des mesures prises ou à l'étude pour assurer leur mise en œuvre, dans les conditions prévues par l'article 18 du règlement précité.
Procédures de maintenance en cas d'atterrissage dur
L'enquête a montré que l'exploitant utilisait des notes techniques inadéquates se substituant à l'AMM du constructeur. A la suite de cet accident, l'exploitant a abrogé ces deux notes techniques.
Par ailleurs, le chapitre de l'AMM dédié aux atterrissages durs ne tient pas compte de façon explicite de l'absence de rapport R15. Cela peut conduire le lecteur à un diagnostic biaisé et une action d'entretien inadéquate. Contrairement à l'AMM de l'A320, par exemple, (figure 602/ TASK 05-51-11-991-016), il n'existe pas de logigramme (Inspection Flow Chart) permettant d'aider les techniciens. Ceci pourrait conduire au départ d'un vol commercial avec un avion fortement endommagé.
En conséquence le BEA recommande que :
- Airbus s'assure que les chapitres des AMM relatifs aux atterrissages durs des avions équipés de la fonction de génération de rapports « Hard landing », prennent explicitement en considération l'absence de rapport R15, notamment en intégrant des logigrammes utiles à l'élaboration d'un diagnostic. [Recommandation FRAN-2013-062]
(1)AAL : Above Aerodrome Level : au-dessus du niveau de l'aérodrome.
(2)ATL Aircraft Technical Log : partie du Compte Rendu Matériel (CRM).
(3)MCC : Maintenance Coordination Centre : cellule technique du centre de coordination des opérations (CCO) de la compagnie.
(4)Approbation Pour Remise en Service.