Accéder au contenu principal

Diminution non détectée de la vitesse en approche, déclenchement de la protection grande incidence

Diminution non détectée de la vitesse en approche, déclenchement de la protection grande incidence

Autorité en charge

France - BEA

Progression de l'enquête Cloturée
Progress: 100%

DEROULEMENT DU VOL

L'équipage décolle de Bordeaux vers 14 h 20, à destination de Paris CDG. Le pilote en fonction (PF) indique qu'au départ, lors du roulage, le SEC1(1) est déclaré en panne. L'équipage consulte la procédure associée indiquée sur l'ECAM(2). Elle prévoit de ne pas utiliser les aérofreins durant le vol.

Lors de l'arrivée, sous guidage radar, le pilote automatique n° 1, l'auto-poussée et les directeurs de vol (AP1, A/THR et les FD) sont engagés. L'avion est en configuration lisse. L'équipage effectue la descente à la vitesse de 250 kt(3) en mode OPEN DES.

Note : le mode OPEN DESCENTE est un mode de descente sélecté de l'AP/FD qui maintient une vitesse ou un Mach en contrôlant l'assiette de l'aéronef. Lorsque l'A/THR est engagée, la poussée est maintenue au ralenti. Ce mode ne doit pas être utilisé en approche finale.

En descente du FL90 vers le FL60, le contrôleur demande à l'équipage « Sortie assez courte, poursuivez la descente vers 4000 ft et stable 4 000 ft d'ici 18 à 20 NM maxi ». A cet instant, la configuration de l'avion permet de respecter cette contrainte sans modification du plan de descente(4). Cependant, le PF décide « d'expédier(5) la descente ». Les aérofreins ne pouvant pas être utilisés, il place les manettes sur IDLE et déconnecte ainsi l'A/THR. Le PF ne se souvient pas avoir annoncé cette action et le PM indique qu'il n'a pas eu conscience de cette déconnexion.

La suite du vol est décomposée en trois phases (cf. graphe page 3).

Phase 1 : situation de pilotage mixte AP ON A/THR OFF

Vers 15 h 12, le PF sélectionne la vitesse de 220 kt à la demande du contrôleur. Quelques secondes plus tard, l'avion atteint l'altitude de 4 000 ft et le mode ALT(6) s'engage.

La poussée au ralenti n'est pas suffisante pour maintenir la vitesse en palier. La tenue d'altitude n'est alors possible qu'en augmentant l'incidence. C'est pourquoi l'AP donne des ordres à cabrer au plan horizontal réglable (PHR) et de la gouverne de profondeur. Dans ces conditions la vitesse diminue.

A 15 h 12 min 32, la vitesse devient inférieure à la vitesse précédemment sélectionnée alors que le contrôleur annonce la présence d'un trafic « midi, 7 NM, en route opposée, 1 000 ft haut, 318 pour le nord ».

Le PF et le PM indiquent qu'ils ont regardé dehors simultanément, focalisant leur attention sur la recherche de l'aéronef.

Durant cette phase de vol les manettes de poussée sont sur IDLE. L'assiette et l'angle d'incidence augmentent progressivement, la vitesse décroît et l'altitude reste stable à 4 000 ft.

Phase 2 : activation de la protection grande incidence

A 15 h 13 min 05, le pilote automatique se déconnecte sur des critères d'incidence. La protection grande incidence (Alpha PROT) (cf. paragraphe 2.6) s'active. La vitesse est alors de 177 kt, inférieure de 26 kt à la vitesse minimum sélectionnable (VLS). Deux secondes plus tard, le PF avance les manettes de poussée sur CLB. Simultanément et durant environ dix secondes il donne un ordre au manche à cabrer car l'avion se met en descente. A cet instant, la poussée n'était pas encore établie, l'incidence étant limitée, la vitesse est devenue insuffisante pour développer une portance égale au poids de l'avion, ce qui explique la mise en descente. La vitesse atteint un minimum de 172 kt (VLS - 31 kt) avec un taux de chute de l'ordre de 1 000 ft/min. Le PF indique qu'il a vu la vitesse dans « le rouge » sur le bandeau de vitesse et que durant toute cette phase de vol sa priorité a été de maintenir l'altitude constante à 4 000 ft.

A 15 h 13 min 15, alors que la poussée commence à s'établir, le PF positionne les manettes dans le cran FLEX/MCT. Il explique qu'il n'a pas placé les manettes dans le cran TOGA pour éviter un couple cabreur trop important. Simultanément son action sur le manche à cabrer devient maximale (environ ¾ de la butée).

L'altitude atteint un minimum de 3 840 ft QNH. Alors que la poussée se stabilise vers 94 %, la vitesse augmente. La pente de l'avion devient positive et l'assiette longitudinale augmente. Alors qu'elle atteint 11°, le PF donne un ordre à piquer pendant environ trois secondes, pour contrer le moment à cabrer généré par la poussée des moteurs. Cette action désactive la protection grande incidence, sans que le PF en ait eu conscience.

Phase 3 : fin de l'événement

L'assiette longitudinale et l'incidence diminuent puis se stabilisent vers 3°. Les actions du PF sur les commandes permettent de ramener la vitesse et l'altitude vers leur valeur sélectionnée respective. L'équipage poursuit l'approche et atterrit sans autre particularité.

ENSEIGNEMENTS ET CONCLUSION

Coordination de l'équipage

En l'absence d'enregistrement CVR, il n'a pas été possible d'analyser de manière approfondie la coordination au sein de l'équipage. Toutefois, il apparaît qu'elle a été limitée certainement en raison de l'installation d'une routine au sein d'un équipage qui se connaissait bien et au dernier jour d'une rotation de quatre jours. La volonté d'accélérer la descente a conduit le PF à piloter en situation de pilotage mixte « AP ON A/THR OFF ».

Cette situation n'a pas permis à l'équipage :

- de constater l'oubli d'engagement de l'A/THR après la mise en palier ou de relever l'absence de gestion manuelle de la poussée après l'interception de l'altitude de 4 000 ft ;

- d'éviter, lors de l'information de trafic, de regarder dehors ensemble et sans consultation au préalable.

Cette coordination était d'autant plus nécessaire que le pilotage était mixte « AP ON, A/THR OFF », alors que le PM n'en avait pas conscience, bien que cette information soit présente au FMA.

Non-détection par l'équipage d'une régression de vitesse

La préoccupation de recherche du trafic et l'augmentation de charge de travail liée à la situation de pilotage mixte « AP ON A/THR OFF » ont amené les deux membres d'équipage à ne pas surveiller la vitesse. De plus lors du vol de l'incident, il n'y a pas eu d'alarme sonore permettant de faire prendre conscience à l'équipage de la diminution de vitesse, jusqu'à ce que l'AP se déconnecte.

études en cours

A la suite de plusieurs accidents et incidents de transport public liés à des pertes de contrôle, la FAA a identifié le besoin d'améliorer et d'harmoniser les standards d'alerte en situation de basse vitesse, pour les aéronefs de type CS25. En 2010, la FAA a assigné le Comité Consultatif d'Elaboration de la Réglementation de l'Aviation (ARAC) pour lui demander d'étudier des recommandations sur des exigences de certification supplémentaires(7) . Cette étude s'appuie sur deux phases. La première a permis de définir de nouvelles exigences. La seconde, toujours en cours, a pour but d'étudier les possibilités d'extension de ces exigences aux avions de transport déjà en exploitation. L'AESA a été associée à ces travaux.

Identification et réaction à la protection grande incidence

Le PF indique que, lors de la déconnexion de l'AP, son attention s'est portée sur la vitesse mais que son objectif prioritaire était de ne pas perdre d'altitude. Il a ainsi augmenté la poussée (cran CLB) et donné un ordre à cabrer pendant plus de dix secondes. L'action à cabrer a maintenu active la protection grande incidence. La protection a limité l'action à cabrer du PF pour maintenir l'avion dans son domaine de vol tout en minimisant la perte d'altitude.

Le PF n'a pas identifié ce déclenchement de protection et n'a pas fait le lien avec le bandeau de vitesse. L'enquête a montré que ce lien est décrit dans la documentation du constructeur mais qu'il ne semble pas suffisamment rappelé lors de la formation initiale des équipages ainsi que dans les programmes d'entraînement périodiques. Des équipages peuvent donc ne pas associer facilement les informations du bandeau de vitesse avec le déclenchement du dispositif de protection. Ils ne sont donc pas incités à appliquer la procédure associée pour en sortir.

Barres de tendance du directeur de vol (FD)

L'enquête n'a pas établi si le PF avait suivi les ordres du FD lors de l'incident. En tout état de cause, les ordres à cabrer du FD étaient cohérents avec l'objectif du pilote de maintenir le palier. Cependant, la documentation du constructeur indique « [qu']en cas d'entrée par inadvertance dans la protection grande incidence et, dès que les autres considérations le permettent, le pilote doit sortir le plus rapidement possible de la protection, en rendant la main pour réduire l'angle d'incidence et en augmentant dans le même temps la poussée ». Les ordres du FD étaient donc cohérents avec la logique de fonctionnement des sytèmes de l'avion, mais inadaptés à la situation de basse vitesse.

D'une manière générale, lorsque l'AP se déconnecte de manière involontaire (comme ici sur des critères de grande incidence), la pertinence de conserver les DV devrait être étudiée.

Causes

L'incident résulte de la combinaison des facteurs suivants :

- la décision, inutile, du PF de placer les manettes de puissance sur IDLE en mode OPEN DES, pour chercher à augmenter le taux de descente, qui a conduit à une situation de pilotage mixte (AP ON A/THR OFF) ;

- la coordination limitée de l'équipage qui a conduit à l'absence de gestion de la poussée pour contrôler la vitesse alors que les moteurs étaient au ralenti et que la conduite du vol était en pilotage mixte (AP ON et A/THR OFF) ;

- la focalisation des deux pilotes sur l'environnement extérieur, qui a entraîné une non-détection de la diminution de la vitesse jusqu'au déclenchement de la protection grande incidence ;

- la formation inadéquate à l'identification de l'entrée dans le domaine de protection grande incidence.

RECOMMANDATIONS

Rappel : conformément aux dispositions de l'article 17.3 du règlement n° 996/2010 du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 sur les enquêtes et la prévention des accidents et des incidents dans l'aviation civile, une recommandation de sécurité ne constitue en aucun cas une présomption de faute ou de responsabilité dans un accident, un incident grave ou un incident. Les destinataires des recommandations de sécurité rendent compte à l'autorité responsable des enquêtes de sécurité qui les a émises, des mesures prises ou à l'étude pour assurer leur mise en œuvre, dans les conditions prévues par l'article 18 du règlement précité.

Détection d'une basse vitesse

L'enquête a montré que :

- lors du vol de l'incident, l'équipage s'est concentré sur la recherche d'un trafic annoncé par l'ATC au détriment de la surveillance des paramètres primaires de vol. Ce risque avait été identifié quelques mois auparavant par l'exploitant qui en avait informé ses équipages dans un bulletin de sécurité des vols ;

- l'équipage n'a eu conscience de la diminution de vitesse qu'au moment où l'AP s'est déconnecté. A cet instant la vitesse était inférieure de 26 kt à la vitesse minimum sélectionnable (VLS) et les moteurs étaient au régime ralenti ;

- les informations visuelles de la diminution de vitesse disponibles sur le PFD n'ont pas été détectées par l'équipage.

Lors de l'enquête sur l'accident du Boeing 737-800 immatriculé TC-JGE(8) , le 25 février 2009, il a été montré que les informations et alarmes disponibles dans le cockpit n'ont pas été suffisantes pour que l'équipage de conduite prenne conscience, à un stade précoce, d'une importante diminution de vitesse. En conséquence, le Dutch Safety Board avait recommandé que Boeing, la FAA et l'AESA évaluent l'utilisation d'une alarme sonore de basse vitesse comme moyen d'alerter l'équipage (référence : recommandation auprès de l'AESA NETH-2010-005).

Par ailleurs, l'étude conduite par la FAA, à laquelle a été associée l'AESA, montre la pertinence de faire évoluer les systèmes de protection destinés à alerter les équipages pour leur donner la possibilité d'anticiper une situation de basse vitesse.

En conséquence, le BEA recommande que :

- l'AESA, en coordination avec les autres autorités de certification, en particulier la FAA, développe des spécifications visant à imposer des systèmes permettant d'alerter et de protéger les équipages des situations de basse vitesse, dans toutes les phases de vol et les configurations des avions. [Recommandation FRAN-2014-001]

Formation à l'identification de la protection grande incidence en situation de pilotage mixte (AP ON et A/THR OFF)

L'enquête a montré que l'équipage a identifié une situation de sous-vitesse, matérialisée par le bandeau ambre, sans faire le lien avec l'activation de la protection grande incidence. Lors de la manœuvre de récupération, l'équipage n'a pas cherché à sortir le plus rapidement possible de la protection.

En conséquence, le BEA recommande que :

- l'AESA renforce les programmes de formation initiale et d'entraînement périodique aux situations de pilotage « basse vitesse », en améliorant :

. la surveillance des paramètres primaires de vol,

. l'identification et la compréhension de la protection grande incidence, en particulier en situation de pilotage mixte (AP ON A/THR OFF). [Recommandation FRAN-2014-002]

Fonctionnement du directeur de vol suite à l'activation d'une protection

L'enquête a montré que les ordres affichés sur le directeur de vol indiquaient un ordre à cabrer, cohérent avec le mode sélectionné. Cependant, le constructeur préconise qu'en cas d'entrée par inadvertance dans la protection grande incidence, et dès que les autres considérations le permettent, le pilote sorte le plus rapidement possible de la protection, « en rendant la main » pour réduire l'angle d'incidence et en augmentant dans le même temps la poussée. Les ordres du FD étaient donc cohérents avec la logique de fonctionnement des systèmes de l'avion, mais inadaptés à la situation de basse vitesse.

D'une manière générale, lorsque l'AP se déconnecte de manière involontaire (comme ici sur des critères de grande incidence), la pertinence de conserver les DV devrait être étudiée.

Lors de l'enquête sur l'accident du F-GZCP du 1er juin 2009, le BEA avait déjà recommandé que l'AESA impose de revoir la logique de fonctionnement ou d'affichage du directeur de vol afin qu'il disparaisse ou présente des ordres adaptés lorsque l'alarme décrochage se déclenche (Recommandation FRAN-2012-048).

En conséquence, le BEA complète cette recommandation dans le cadre de ce rapport et recommande que :

- l'AESA, en coordination avec le constructeur, reconsidère la logique de fonctionnement ou d'affichage du directeur de vol afin qu'il disparaisse ou donne des indications pertinentes lorsque le pilote automatique se déconnecte de manière involontaire. [Recommandation FRAN-2014-003]

(1)Le SEC (Spoilers Elevator Computer) est un calculateur qui contrôle les aérofreins, la gouverne de profondeur et le plan horizontal réglable. L'A321 possède 3 SEC.

(2)ECAM : Electronic Centralized Aircraft Monitor.

(3)Sauf précision contraire les vitesses figurant dans ce rapport ont pour origine le paramètre Vitesse Calculée (Computed Air Speed).

(4)Lorsqu'un contrôleur donne à un équipage une consigne d'altitude et de distance, ce dernier doit vérifier si la demande peut être respectée et adapter, si besoin, sa trajectoire. Pour cela, il dispose de son écran de navigation (ND) ou du MCDU. Il peut aussi calculer le plan de descente demandé et le comparer à celui suivi par l'avion.

(5)Pour accélérer une descente sous contrainte de vitesse en mode OPEN DES, le pilote peut sortir les aérofreins, les volets et/ou le train d'atterrissage.

(6)En mode ALT l'AP maintient l'altitude sélectée en agissant sur le braquage du plan horizontal réglable (PHR) et de la gouverne de profondeur. La contrainte de vitesse sélectionnée n'est plus prise en compte si l'A/THR n'est pas engagée.

(7)http://www.gpo.gov/fdsys/pkg/FR-2011-03-03/pdf/2011-4761.pdf.

(8)http://www.onderzoeksraad.nl/en/onderzoek/1748/crashed-during-approach-boeing-737-800-amsterdam-schiphol-airport.