Entrée dans un orage de grêle lors de l’approche, cisaillement de vent lors de l’approche, déclenchement bref de l’alarme de décrochage
Entrée dans un orage de grêle lors de l’approche, cisaillement de vent lors de l’approche, déclenchement bref de l’alarme de décrochage
Synopsis
En approche sur l’aérodrome de Bordeaux Mérignac, l’équipage d’un Airbus A320 d’Air France traverse un orage de grêle. L’avion est soumis à un important cisaillement de vent. L’assiette de l’avion augmente jusqu’à environ 25° sous pilote automatique et la vitesse descend jusqu’à 109 kt (VLS - 27 kt). L’avion descend au maximum d’environ 200 pieds. L’équipage remet les gaz. L’alarme de décrochage retentit furtivement et la protection « Alpha Floor » se déclenche. L’équipage poursuit l’approche après être sorti de l’orage de grêle.
L’équipage effectuait le troisième et dernier vol de la journée. Une passagère, qui est copilote dans la compagnie, était présente dans le poste de pilotage lors de la totalité du vol. Elle est intervenue dans les échanges de l’équipage pour décider de la trajectoire à suivre.
L’enquête du BEA a conclu que la décision inappropriée du commandant de bord de débuter l’approche, alors qu’une cellule orageuse se trouvait sur la trajectoire d’approche résulte de la rupture progressive du fonctionnement CRM de l’équipage, qui n’a pas su arriver à une décision partagée sur la trajectoire d’arrivée et d’approche. Les interventions spontanées de la troisième personne présente dans le cockpit, et le souvenir d’une rotation que le commandant de bord et le copilote avaient réalisée ensemble trois ans auparavant ont probablement contribué à cette déstructuration du CRM et à l’inefficacité de leur stratégie TEM.
L’absence d’information de vol précise sur la situation météorologique fournie par le contrôleur, la répétition de messages d’une situation météorologique dégagée sur l’aérodrome ont pu contribuer à la sous-estimation des risques liés à la situation météorologique.
4 - RECOMMANDATIONS DE SECURITE
Rappel : conformément aux dispositions de l’article 17.3 du règlement n° 996/2010 du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 sur les enquêtes et la prévention des accidents et des incidents dans l’aviation civile, une recommandation de sécurité ne constitue en aucun cas une présomption de faute ou de responsabilité dans un accident, un incident grave ou un incident. Les destinataires des recommandations de sécurité rendent compte à l’autorité responsable des enquêtes de sécurité qui les a émises, des mesures prises ou à l’étude pour assurer leur mise en oeuvre, dans les conditions prévues par l’article 18 du règlement précité.
4.1 Interférence d’une tierce personne dans le poste de pilotage
Le règlement (UE) N°965/2012 de la Commission du 5 octobre 2012 établit que le commandant de bord veille à ce que l’accès au compartiment de l’équipage de conduite n’entraîne pas de distraction et ne nuise pas au déroulement du vol (CAT. GEN.MPA.135).
Lors du vol de l’incident, la passagère est intervenue dans la discussion entre les deux membres d’équipage. Le commandant de bord n’a pas encadré son intervention notamment lors d’un briefing. Sa qualité de copilote et la sollicitation du copilote en fonction rendaient difficile toute remise en cause par le commandant de bord. Indépendamment de la pertinence technique des interventions de la passagère, cette situation a contribué à la déstructuration de l’équipage et a nui à l’efficacité de la communication et des processus décisionnels dans le cockpit.
Cet événement montre que l’intervention d’une tierce personne peut générer des conditions difficiles pour mettre en oeuvre un CRM efficace. Or, il est compliqué pour un pilote de gérer une telle intervention dans une situation dynamique.
En conséquence le BEA recommande que :
- La DGAC s’assure que l’ensemble des exploitants français de transport aérien commercial mette en place des mesures pour prévenir la dégradation du CRM et la perturbation de la conduite du vol en raison de l’interférence d’une tierce personne dans le cockpit. [Recommandation 2015-058]
Les procédures d’accès au poste de pilotage établies par Air France, qui ont permis la survenue de cet évènement, pourraient concerner d’autres exploitants européens.
En conséquence, le BEA recommande que :
- L’AESA précise, au travers d’AMC, l’interprétation qu’il convient d’avoir pour l’application du CAT.GEN.MPA.135 en matière d’accès au cockpit et d’encadrement d’une tierce personne. [Recommandation 2015-059]
4.2 Gestion des menaces et des erreurs (TEM)
Le commandant de bord, le copilote, et la passagère ont identifié la présence d’orages sur l’aérodrome. Ils ont échangé de façon prolongée, mais peu structurée, sur la gestion de cette menace mais ne se sont jamais mis d’accord sur un projet d’action commun.
De même, la distance d’atterrissage a fait l’objet d’une évaluation par la passagère, mais les résultats de cette évaluation n’ont pas été partagés avec le commandant de bord. L’équipage de conduite a initialement choisi une configuration d’atterrissage incompatible avec les marges demandées par l’exploitant lors de l’atterrissage.
Malgré les consignes et la mise en place d’une formation dédiée par l’exploitant en fin d’année 2012 sur la démarche TEM, les membres d’équipage n’ont pas su se mettre d’accord pour adopter une stratégie adaptée aux menaces qu’ils avaient identifiées.
La réglementation actuelle de l’AESA n’est pas très précise dans ce domaine et ne permet pas de s’assurer que l’ensemble des compagnies aériennes mettent en oeuvre un tel concept de façon efficace.
En 2013, le BEA a émis deux recommandations à ce sujet(1) :
- l’AESA intègre le TEM dans les ECP (entraînements et contrôles périodiques) et les procédures d’exploitation des détenteurs d’un CTA. (FRAN-2013-073 ou FR.SIA- 2013-0075) ;
- dans l’attente, la DGAC conduise une action de sensibilisation sur le TEM auprès des exploitants détenteurs d’un CTA (FRAN-2013-074 ou FR.SIA-2013-0076).
Une évolution réglementaire est en cours à travers la NPA 2014-17 (RMT.0411) qui doit compléter les exigences sur la gestion des menaces.
En complément aux recommandations déjà émises sur le sujet, le BEA recommande que :
- La DGAC, conjointement avec les exploitants français de transport aérien commercial établisse des bonnes pratiques pour améliorer l’efficacité de la gestion des erreurs et des menaces dans leur exploitation. [Recommandation 2015-060]
4.3 Evaluation par les exploitants de la performance individuelle des pilotes
Le niveau professionnel des pilotes observé lors de cet événement n’était pas celui attendu par l’exploitant.
Les contrôles effectués lors des entraînements et contrôles périodiques, définis avant la mise en place de l’ATQP au sein de l’exploitant en 2013, n’ont pas permis de détecter les défaillances observées.
Il est nécessaire pour un exploitant de mieux déterminer le niveau professionnel de ses pilotes à travers les compétences techniques et non techniques (DOC OACI 9995) afin d’adapter la formation aux besoins de chacun.
En conséquence le BEA recommande que :
- La DGAC incite les exploitants français de transport aérien commercial à mettre en place des moyens d’évaluation de la performance individuelle des pilotes fondés sur les huit compétences fondamentales définies dans le document OACI 9995, dans l’objectif de détecter et d’accompagner ceux qui présenteraient des difficultés. [Recommandation 2015-061]
4.4 Formation des équipages
L’enquête sur l’incident a notamment montré que malgré la formation dispensée à l’équipage, cela n’a pas permis :
- d’éviter les zones orageuses conformément aux consignes de la compagnie ;
- d’identifier sur le radar météorologique de bord les zones de grêle ;
- de reconnaître la survenue d’un cisaillement de vent lorsque l’alarme dédiée est inhibée ;
- de maintenir un CRM efficace en toute circonstance.
Les événements cités dans le paragraphe 1.18.7 illustrent également les problématiques identifiées ci-dessus.
Les entraînements et les contrôles périodiques d’un exploitant doivent prendre en compte les menaces rencontrées en exploitation et les faiblesses des équipages pour être adaptés à ses besoins.
L’ATQP, mis en place par Air France à partir de 2013, et les scénarii EBT (Doc OACI 9995) devraient permettre de répondre à ces problématiques.
En conséquence le BEA recommande que :
- L’AESA définisse les modalités permettant à un exploitant de mettre en oeuvre la formation basée sur les risques telle que précisée dans le doc OACI 9995 de l’OACI. [Recommandation 2015-062]
- L’AESA incite les exploitants de transport aérien commercial à prendre en compte des problématiques relatives au CRM et au cisaillement de vent dans la conception des scénarii EBT. [Recommandation 2015-063]
4.5 Entraînement à la détection humaine d’un phénomène de type cisaillement de vent
L’avion a été exposé à un phénomène de cisaillement de vent important. L’équipage de conduite n’a pas identifié ce phénomène. Il est dangereux car il peut amener l’avion à décrocher comme l’illustre l’incident grave de l’A319 immatriculé B-6054 (cf. paragraphe 1.18.7) et à une collision avec le sol s’il survient à une faible hauteur.
Certains avions sont équipés d’alarmes de détection de ce phénomène. Toutefois cette alarme peut être inhibée à partir d’une certaine hauteur ou avoir un dysfonctionnement. La détection repose alors sur la capacité de l’équipage à surveiller les paramètres primaires de vol et traiter l’information.
L’enquête a montré que l’exploitant forme quasi-exclusivement les équipages à réagir à l’alarme « reactive windshear ». Cette formation est essentielle pour assurer une réaction immédiate de l’équipage de type « memory items ». Cependant, cet entraînement reposant quasi-systématiquement sur la réaction à une alarme sonore, ne permet pas de développer la capacité de l’équipage à détecter le phénomène sur les bases de l’observation sans déclenchement de l’alarme.
La formation doit couvrir ces deux aspects pour garantir un niveau de détection élevé.
En conséquence le BEA recommande que :
- L’AESA incite les exploitants de transport aérien commercial à former les équipages à la détection humaine de phénomènes pour lesquels il existe des alarmes qui ne couvrent pas toutes les situations dans lesquelles ces phénomènes peuvent se produire. [Recommandation 2015-064]
4.6 Aide à la détection du phénomène de cisaillement de vent
Le BEA a recommandé en 2007 que la DGAC, en liaison avec les autres autorités européennes, établisse les conditions réglementaires d’emport d’un système prédictif de cisaillement de vent conformément aux recommandations du paragraphe 6.21 de l’annexe 6 (OACI). L’AESA a informé le BEA que les RMT 0369 et RMT 0370 ont été ouvertes pour modifier les textes réglementaires afin de répondre à la recommandation du BEA.
Les systèmes prédictifs permettent d’améliorer la conscience de la situation des équipages. Ils sont néanmoins inhibés à une hauteur de 2 300 ft sur Airbus et les pilotes de l’exploitant n’ont pas d’entraînement spécifique associé à cette alarme.
L’enquête n’a pas permis de déterminer si l’absence d’identification du phénomène est liée à une formation inadaptée ou une incapacité de l’équipage à détecter le phénomène en raison du stress, d’une surcharge cognitive ou de la difficulté ressentie à lire les instruments.
La hauteur à partir de laquelle les alarmes sont inhibées est actuellement un compromis entre l’objectif opérationnel d’avertir les équipages à proximité du sol de la présence du phénomène et la nécessité d’avoir un taux de nuisance faible (un faible nombre de fausses alarmes).
Une alarme de type prédictif aurait permis à l’équipage de prendre conscience des dangers associés au CB. Cela aurait pu permettre à l’équipage de prendre une décision plus adaptée.
En conséquence le BEA recommande que :
- L’AESA, en coordination avec la FAA, évalue la faisabilité et l’opportunité d’élargir le domaine de disponibilité des alarmes de détection du phénomène de cisaillement de vent. [Recommandation 2015-065]
4.7 Information de vol sur les situations météorologiques
Les contrôleurs aériens disposent d’une image radar de la situation météorologique afin d’enrichir ponctuellement la fourniture du service d’information de vol. Cette image radar de la situation météorologique n’est pas représentée sur l’écran de contrôle, mais sur un écran à proximité de la position, et ne permet pas de distinguer clairement les phénomènes à forte probabilité de grêle. Ce type d’information aurait pu permettre aux contrôleurs lors de l’incident d’indiquer à l’équipage que les phénomènes orageux détectés étaient probablement accompagnés de grêle. Les procédures des contrôleurs prévoient de transmettre les avertissements sur la présence d’activité convective sans fournir de précision sur la nature du phénomène météorologique.
Le BEA, dans son étude de sécurité sur les turbulences en transport aérien publiée en 2008(2), avait déjà recommandé :
que la DGAC introduise des outils, et définisse des méthodes de travail associées, permettant aux contrôleurs en route et d’approche de visualiser sur les écrans de contrôle les zones orageuses et les zones de turbulence.
La DGAC prévoit d’intégrer l’information météorologique sur les écrans radar dans les évolutions des matériels prévues pour les années à venir. Dans l’attente de matériel adéquat, la DGAC travaille sur des outils complémentaires. Aucune exigence n’est définie par la réglementation française ou européenne à ce sujet.
En conséquence le BEA recommande que :
- La DGAC s’assure que les informations météorologiques mises à disposition des contrôleurs permettent de donner une information de vol la plus complète et pertinente possible et permettent de compléter la conscience de la situation des équipages, notamment en présence d’orage de grêle. [Recommandation 2015-066]
4.8 Réglage de l’alarme de décrochage pour les avions protégés en incidence
Les avions « fly-by-wire » d’Airbus sont munis de protections du domaine de vol en loi normale. Lors de la certification, l’autorité, conformément à la condition SC F-1, a accepté que l’alarme de décrochage en loi normale ne constitue pas un moyen de détection de l’approche du décrochage puisque les protections en incidence sont conçues pour protéger l’avion contre une situation de décrochage. Airbus avait décidé de conserver cette alarme en loi normale et de fixer un seuil unique pour cette alarme, qui selon la configuration de l’avion peut se déclencher après le décrochage de l’avion. Cette alarme n’a alors pas pour but de prévenir l’équipage de l’approche du décrochage comme défini par la condition spéciale : « SC F-1 for A320: Stalling and scheduled operating speeds ».
Dans le cas de l’évènement du F-HBNI, des conditions de cisaillement de vent important lors de la traversée d’une cellule orageuse pendant l’approche ont amené l’incidence de l’avion à approcher celle du décrochage, et l’alarme de décrochage a été transitoirement activée sans que l’avion n’atteigne pour autant l’incidence de décrochage.
Néanmoins, suite à l’évènement survenu sur un Airbus A319 de Sichuan Airlines mentionné dans ce rapport (paragraphe 1.18.7) où, lors de conditions exceptionnelles de cisaillement de vent en loi normale, l’incidence avion avait dépassé l’incidence de décrochage malgré un plein braquage des gouvernes de profondeur commandé par la protection d’incidence, Airbus a revu le réglage du seuil de cette alarme en loi normale. Ce seuil est maintenant calé afin d’être proche de l’incidence de décrochage, quelle que soit la configuration avion becs et volets.
L’accroissement du trafic aérien et les effets du changement climatique pourraient augmenter la probabilité de rencontrer à nouveau ce type de situation de cisaillement de vent exceptionnel.
En conséquence le BEA recommande que :
- L’AESA impose, pour les avions « fly-by-wire » Airbus déjà en service, de revoir le calage du seuil de l’alarme Stall Warning en loi normale pour que celle-ci se déclenche de façon pertinente. [Recommandation 2015-067]
- L’AESA, en coordination avec les autres autorités de certification, évalue le besoin de modifier pour tout avion protégé en incidence les conditions de certification pour que l’alarme de décrochage se déclenche de façon pertinente, y compris en cas d’activation pertinente du système de protection, et qu’elle s’assure que sont définies des procédures et une formation des équipages associés. [Recommandation 2015-068]
(1)https://www. qwant.com/?q=FRAN- 2013-073&t=all
(2)http://www. bea.aero/etudes/ turbulences. en.transport. aerien/turbulences. en.transport. aerien.pdf