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Ingestion d'oiseaux par le moteur droit, décollage interrompu après V1

Ingestion d'oiseaux par le moteur droit, décollage interrompu après V1

Autorité en charge

France - BEA

Progression de l'enquête Cloturée
Progress: 100%

Vol Ajaccio - Paris Orly.

 

Déroulement du vol

L'équipage d'un A321 effectue sa quatrième rotation de la journée. Il s'aligne en piste 20 à Ajaccio à partir de la bretelle D(1). Il y a des nuages épars à une hauteur de 600 ft et il pleut. Le copilote, PF, applique la poussée de décollage sans marquer d'arrêt sur la piste.

Peu après l'annonce « 100 noeuds », l'attention du commandant de bord est attirée par l'envol de plusieurs goélands sur le côté droit de la piste, devant l'avion. Il décide de poursuivre le décollage. Deux secondes plus tard, un bruit sourd et des vibrations significatives sont perçues dans le poste de pilotage au moment où le commandant de bord annonce « V1 ». Il réduit la poussée et réalise que la vitesse indiquée est supérieure à V1. Malgré un freinage manuel maximum, l'utilisation des inverseurs de poussée et la sortie automatique des spoilers, l'équipage craint de ne pouvoir arrêter l'avion avant l'extrémité de piste et la mer. Il décide de prendre la bretelle de dégagement A située à son extrémité. L'équipage arrête l'avion sur la voie de circulation. Après examen visuel de l'avion par les services de sécurité et d'incendie, l'équipage roule vers l'aire de stationnement et le débarquement des passagers s'effectue normalement.

La première action de freinage a été enregistrée 14 kt au-delà de V1, soit deux à trois secondes après l'annonce V1.

 

Renseignements complémentaires

Dommages subis par l'avion

Un goéland a été ingéré par le moteur droit.

Plusieurs aubes de fan ont été endommagées et ont dû être remplacées. L'analyse des paramètres enregistrés indique que l'ingestion du goéland n'a pas entraîné de perte de poussée sur ce moteur.

La fin du freinage réalisée en virage sur la bretelle de dégagement à une vitesse d'environ 25 kt a entraîné une accélération latérale nécessitant une vérification du train d'atterrissage.

 

Conditions météorologiques

La piste est mouillée et le vent est du 230 degrés pour 3 à 6 kt.

 

Performances avion

En raison de travaux au niveau du seuil de piste 20, l'alignement s'effectuait depuis la voie de circulation D. L'ASDA(2) déclarée en piste 20 était donc de 2 175 m.

A la masse estimée de l'avion au décollage de 71,3 tonnes, les vitesses retenues, pour une piste mouillée, étaient les suivantes :

V1 126 kt

Vr 137 kt

V2 139 kt

 

Cette V1 est déterminée pour une poussée réduite, compte-tenu des conditions du décollage. Elle est conditionnée par la limitation ASDA et permet donc à l'équipage d'arrêter l'avion en bout de piste.

En raison d'une averse importante pendant le temps d'escale, l'équipage a envisagé dans un premier temps prendre en compte les performances en piste contaminée avant de décider de décoller en pleine poussée avec les paramètres de décollage établis pour une piste mouillée.

 

Service de prévention du péril animalier

Le nombre de mouvements d'avions commerciaux annuels à Ajaccio étant inférieur à 25 000, l'arrêté du 24 juillet 1989 était en vigueur jusqu'en septembre 2009. La lutte contre le risque aviaire est assurée par un agent du SSLIA(3) et le service est rendu de manière ponctuelle ou à la demande. Il nécessite une surveillance de la plate-forme aéroportuaire par les contrôleurs aériens (en particulier lors de départs ou d'arrivée d'avions prévus) et par les agents du BRIA(4) lors des inspections de piste. Le jour de l'incident, les deux dernières opérations d'effarouchement avaient été effectuées à la demande du contrôleur aérien trois et deux heures avant l'arrêt-décollage. Avant le décollage de l'A321, le contrôleur a vérifié avec des jumelles l'absence d'oiseaux mais n'a pas vu les goélands posés sur l'herbe, à proximité de la piste. Il est possible que la pluie ait rendu difficile leur détection depuis la tour de contrôle.

 

Situation ornithologique locale

En vue du transfert du service de prévention du péril animalier à l'exploitant de l'aérodrome, une formation des agents SSLIA et un examen de la situation ornithologique locale avaient été effectués (trois ans avant l'incident) par le STAC(5) à la demande de la Délégation territoriale Corse et de la chambre de commerce et d'industrie d'Ajaccio et de la Corse du sud.

L'examen de la situation ornithologique indique que la proximité du cours d'eau La Gravone(6) et de l'étang formé à son embouchure favorise la présence de hérons cendrés et d'une petite population de laridés (mouettes et goélands). Celle-ci peut fréquenter l'aérodrome par mauvais temps, particulièrement au niveau de la manche à air où une mare d'eau se forme lorsqu'il pleut(7).

Le traitement des données sur les collisions entre oiseaux et aéronefs à Ajaccio(8) montre que le taux d'incidents sérieux calculé sur une période de 10 ans est trois fois supérieur au taux national (un incident sérieux pour 20 000 mouvements commerciaux en France) et que le plus grand nombre de collisions sur l'aérodrome sur la période allant de 2000 à 2004 concerne les laridés.

 

Mesures à mettre en place

A l'issue de l'examen, le STAC avait proposé plusieurs mesures préventives à prendre en compte pour réduire le nombre de collisions aviaires sur l'aérodrome d'Ajaccio. Elles concernent :

• la réduction des sources attractives pour les oiseaux ;

• l'amélioration de la coordination entre les contrôleurs aériens et le service de prévention du péril animalier :

- soit en prévenant le plus tôt possible le service de prévention avant les mouvements d'avions commerciaux,

- soit en envisageant la possibilité pour les agents du service de prévention, toujours en coordination avec les contrôleurs aériens, d'intervenir à partir d'une liste de vols planifiés ou en fonction de la situation ornithologique du moment (mauvais temps, labours, fauchage…).

 

De nouvelles consignes locales dont la rédaction avait été proposée comme mesure préventive par le STAC, ont été intégrées au manuel d'exploitation de l'aérodrome.

A la date de l'événement, ces mesures n'avaient pas été mises en place. En particulier, la mare située au niveau de la manche à air n'avait pas été asséchée.

 

Enseignements

Arrêt-décollage

Le choix de la pleine poussée au lieu de la poussée réduite permettait d'augmenter les marges d'arrêt en cas d'arrêt-décollage à V1. Cette marge a été perdue dès l'instant où l'arrêt a été initié après V1, augmentant la distance d'accélération-arrêt d'environ 1 000 mètres. La rapidité de mise en oeuvre de l'ensemble des moyens de freinage a permis de maintenir l'avion dans les limites de la piste.

La désactivation du freinage automatique et le freinage manuel ont par ailleurs dégradé les performances de décélération de l'avion et augmenté la distance d'arrêt.

 

Décision de l'équipage

Lors du roulage, les équipages peuvent, en surveillant les abords de la piste pour détecter la présence éventuelle d'animaux comme les oiseaux, demander l'intervention du service de prévention du péril animalier avant le décollage.

Lors du décollage, la surveillance extérieure et les perceptions de bruits ou de vibrations à la suite de collisions avec des oiseaux peuvent prendre le pas sur la surveillance des paramètres de poussée et de vitesse indiquée et influencer les décisions de l'équipage.

 

Service de prévention du péril animalier

Depuis septembre 2009, les exploitants d'aérodrome sont responsables de l'organisation et du fonctionnement du service de prévention du péril animalier. La certification des aérodromes serait une opportunité de s'assurer de l'adéquation des moyens de lutte animalière avec le risque auquel est exposé l'aérodrome.

 

(1)Des travaux au seuil neutralisent les 435 premiers mètres.

(2)Acceleration Stop Distance (longueur d'accélération-arrêt utilisable).

(3)Service de Sauvetage et de Lutte contre l'Incendie des Aéronefs.

(4)Bureau régional d'information et d'assistance au vol.

(5)Service Technique de l'Aviation Civile.

(6)Son estuaire se situe à quatre cents mètres environ au sud-est du seuil de piste 02, lui-même à quelques mètres seulement de la plage.

(7)Sur l'ancien emplacement d'une bâtisse aujourd'hui rasée.

(8)A l'aide du programme PICA, Programme d'Informations sur les Collisions Aviaires.