Passage dans une couche nuageuse, collision avec la surface de la mer lors d’un vol de largage de parachutistes
Passage dans une couche nuageuse, collision avec la surface de la mer lors d’un vol de largage de parachutistes
1- DEROULEMENT DU VOL
Le pilote décolle vers 18 h 24 de la piste 25 de l’aérodrome de Granville Mont-Saint-Michel pour un vol de largage de parachutistes à la verticale de l’aérodrome au FL115 et au FL135. A 18 h 36, un employé de la société au sol demande au pilote sur la fréquence de l’aérodrome s’il voit « la brume de mer qui rentre au sol ». Le pilote lui répond qu’il la voit et la surveille. Il indique également : « on voit carrément la zone, il n’y a aucun problème… ». L’employé lui répond que « au sol, ils sont un peu sceptiques » et propose au pilote de demander l’avis aux parachutistes avant le largage. A 18 h 38, l’employé indique au pilote que « la brume rentre à Mach 2, je ne sais pas s’ils vont avoir visuel ». Le pilote répond que les parachutistes sont d’accord pour sauter et que le largage au FL115 a débuté. A 18 h 39, le largage est terminé et le pilote indique que « c’était carrément visuel ». Le largage au FL135 débute deux minutes plus tard selon une route sud. A l’issue du largage, le pilote débute la descente et vire à droite vers le nord-ouest. Le taux de descente atteint plus de 6 000 ft/min. Le pilote annonce qu’il passe le FL100 en descente et que « ce sera pour une 07 ». A une altitude d’environ 7 000 ft, il vire vers la gauche. Le taux de descente reste proche de 6 000 ft/min pendant le virage. A 18 h 42, le directeur technique de la société demande au pilote si les parachutistes « redescendent avec l’avion ». A la suite de la réponse du pilote annonçant qu’ils ont déjà sauté, le directeur technique indique alors que « c’est encore clairsemé, ça marche ». A 18 h 43, le pilote annonce qu’il passe 3 000 ft en descente et que « ce sera pour une 07 ». Quelques secondes plus tard, à une altitude d’environ 1 500 ft, l’avion pénètre dans une couche nuageuse, poursuit la descente puis entre en collision avec la mer, sans perte de contrôle du pilote.
L’avion est retrouvé en mer à une distance d’environ 1,1 NM du seuil de la piste 07. Les commandes du moteur au poste de pilotage sont toutes positionnées vers l’avant. L’examen de l’hélice indique que le moteur délivrait de la puissance. L’examen de l’avion montre que le compensateur de profondeur est réglé à cabrer et que les volets sont en configuration atterrissage.
2 - Renseignements complémentaires
Le pilote, employé de la société à Granville, dispose d’une licence CPL(A) et totalisait 2 368 heures de vol dont 995 sur type et 52 heures dans les trente derniers jours, toutes sur type. Il a obtenu son aptitude au largage de parachutistes en 2008 et sa qualification de classe Pilatus PC6 en 2009. Il indique que pendant la journée, il a effectué une dizaine de largages et qu’il restait encore une rotation à faire après le vol de l’accident. Il précise que l’évolution nuageuse s’est produite au moment du vol. Selon lui, la brume était située au bord de mer et les conditions de largage étaient réunies car la zone était dégagée. Il indique avoir voulu s’intégrer en vent arrière pour la piste 25 mais ne se souvient pas exactement à quel moment. Il explique qu’il a probablement configuré l’avion pour l’atterrissage avant l’entrée dans la couche nuageuse. Le jour de l’accident, les approches et les atterrissages ont été effectués en piste 07. Le pilote indique que le GPS est utilisé pour les vols. Il n’avait jamais été confronté à de la brume de mer.
L’aérodrome de Granville est un aérodrome civil AFIS ouvert à la circulation aérienne publique qui dispose d’une piste revêtue 07/25. La carte d’aérodrome indique que l’aérodrome est susceptible d’être envahi en quelques minutes par la brume de mer. Elle ne mentionne pas de QFU préférentiel. L’agent AFIS, qui n’était plus en fonction à partir de 18 h 30(1) , indique que tout au long de l’après-midi, l’arrivée d’une brume de mer a été redoutée, sans toutefois remettre en question l’activité des vols sur l’aérodrome. Il précise qu’à l’issue des largages, les descentes sont effectuées quasiment de manière exclusive au-dessus de la mer afin de limiter les nuisances sonores pour les riverains. Lorsque cela est possible, l’intégration dans le circuit d’aérodrome se fait en finale 07.
Aux abords de l’aérodrome, des stratus bas, présents en mer entre les Iles anglo-normandes et le nord-ouest du Cotentin, descendaient vers le sud et touchaient le littoral de la côte ouest du Cotentin. Au contact du littoral, l’évolution diurne(2) transformait les stratus bas en stratocumulus. Sur la mer, la couche nuageuse était ainsi plus épaisse que celle se trouvant en contact avec la terre. Les conditions météorologiques aux abords de l’aérodrome ont évolué de la façon suivante à :
18 h 30 : les stratus bas n’avaient pas encore atteint l’aérodrome. Lors du décollage, le vent indiqué par l’agent AFIS au pilote a été du 340° pour 8 kt.
18 h 45 : les stratus bas recouvrent une partie de l’aérodrome. Les conditions nuageuses et la visibilité estimées aux abords de l’aérodrome étaient les suivantes :
visibilité :
- littoral côté terre : probablement proche de 10 km ;
- littoral côté mer : probablement entre 1,5 et 3 km, voire inférieure à 1 km ;
nuages :
- littoral côté terre : 3 à 5 octas de stratocumulus ayant une base vers 250-300 m et un sommet probablement vers 500 m ;
- littoral côté mer : probablement 7 à 8 octas de stratus ayant une base inférieure à 30 m et un sommet probablement vers 300-500 m.
19 h 00 : l’aérodrome ne se trouvait plus sous une couche nuageuse.
Un film enregistré lors du saut d’un parachutiste permet de voir la couche nuageuse décrite précédemment et son évolution.
Le largage de parachutistes est une activité particulière au sens de l’arrêté du 24 juillet 1991 relatif aux conditions d’utilisation des aéronefs civils en aviation générale. Dans ce cadre, la société dispose d’un Manuel d’Activités Particulières (MAP), déposé auprès de la DSAC Ouest. Ce document décrit les règles et procédures utilisées par la société. L’encadrement de la société se compose en particulier d’un directeur technique dont le rôle est de superviser les sauts. Ainsi, la décision d’entreprendre les vols et les sauts est prise entre le pilote et le directeur technique en fonction des conditions météorologiques et de leur évolution.
Les critères du MAP permettant de décider des largages sont la visibilité verticale(3), la nébulosité et le vent. Ces conditions sont considérées comme nécessaires au largage mais peuvent s’avérer insuffisantes pour le déroulement du vol en VFR.
La réglementation française ne prévoit pas de critères spécifiques pour les vols de largage de parachutistes. Il s’agit d’une activité particulière de travail aérien répondant aux règles d’aviation générale. A partir de 2017, les activités de travail aérien et plus généralement les exploitations spécialisées (dont le largage de parachutistes) seront régies par les règles élaborées par l’AESA (en particulier la partie SPO(4)) en vue de la mise en œuvre et de l’application du règlement européen (CE) n° 216/2008. Cette partie SPO comprend également des exigences supplémentaires propres à chacune de ces exploitations et des spécifications détaillées servant de base aux procédures d’exploitation standard (SOP(5)) des exploitants.
A la date de publication de ce rapport d’enquête, seules les exploitations spécialisées de chargement externe ou de transport externe de charge humaine en hélicoptère font l’objet de spécifications détaillées comme moyens acceptables de conformité (AMC(6)).
3 - ENSEIGNEMENTS ET CONCLUSION
Le pilote a choisi initialement d’atterrir en piste 07, ce qui impliquait nécessairement de traverser une couche de nuages bas, alors qu’une approche pour un atterrissage en piste 25 aurait probablement permis de respecter les conditions de vol à vue. Alors qu’il se rapprochait de la couche nuageuse et que l’avion était configuré pour l’atterrissage, le pilote a décidé de s’intégrer en branche vent arrière pour la piste 25. Cette décision de changement de projet d‘action a certainement été tardive. Associée à la vitesse verticale de descente élevée, elle n’a pas permis d’éviter de pénétrer dans la couche nuageuse et d’empêcher la collision avec la mer malgré une possible tentative de remise de gaz du pilote, comme le laissent supposer l’examen de l’hélice et la position des commandes du moteur.
Le choix de la piste 07 dès le début de descente peut s’expliquer par l’habitude d’utiliser cette piste pour les atterrissages, en raison de la pression environnementale liée aux nuisances sonores. Ainsi, le pilote, expérimenté, familier de l’environnement de Granville et peut-être fatigué à l’issue d’une journée largage, a débuté et poursuivi son approche en piste 07 malgré la présence de la brume de mer dès le début de descente.
Le largage de parachutistes est effectué dans un contexte de pression à la fois sportive et commerciale, voire environnementale comme c’est le cas à Granville. Les pilotes sont ainsi amenés à s’adapter aux exigences de l’activité. Cette adaptation repose sur des compromis entre la sécurité et la prise de risques qui d’un côté permet de pérenniser l’activité mais qui d’un autre côté tend à réduire les marges de sécurité.
Afin de partager les informations relatives aux événements pouvant survenir dans le cadre de cette activité, un système de retour d’expérience a été mis en place en 2012 par la FFP(7). Des formulaires, sont disponibles sur son site internet(8). Ils s’adressent aux parachutistes mais aussi aux acteurs de la sécurité des vols (pilotes et directeurs techniques notamment). Ce système doit leur permettre de partager leurs expériences de manière anonyme, et ainsi de dégager des enseignements de sécurité.
4- RECOMMANDATION DE SECURITE
Rappel : conformément aux dispositions de l’article 17.3 du règlement n° 996/2010 du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 sur les enquêtes et la prévention des accidents et des incidents dans l’aviation civile, une recommandation de sécurité ne constitue en aucun cas une présomption de faute ou de responsabilité dans un accident, un incident grave ou un incident. Les destinataires des recommandations de sécurité rendent compte à l’autorité responsable des enquêtes de sécurité qui les a émises, des mesures prises ou à l’étude pour assurer leur mise en œuvre, dans les conditions prévues par l’article 18 du règlement précité.
Le contexte du vol de l’accident ne constitue pas un cas isolé et peut ainsi être rapproché de l’incident grave survenu trois mois plus tôt au Blanc (36)(9). Il ressort des deux événements que les pressions liées à l’activité de largage de parachutistes peuvent influencer la façon dont le vol est effectué et, par conséquent, augmenter les risques. Par ailleurs, les caractéristiques particulières de cette activité ne font pas l’objet de mesures dépassant le cadre des règles de l’aviation générale. Contrairement à d’autres types d’exploitations spécialisées, la partie SPO, ainsi que les moyens de conformité associés, ne prévoient pas de procédures d’exploitation standards destinées à l’activité de largage de parachutistes. En conséquence, le BEA recommande que :
l’AESA élabore des moyens de conformité (AMC) à la partie SPO et des spécifications détaillées pour les opérations de largage de parachutistes en vue d’être mises en application dans les procédures d’exploitation standard (SOP) des exploitants. [Recommandation FRAN-2015-001]
(1)Conformément aux horaires publiés.
(2)Avec l’air plus sec et plus chaud sur les terres, les stratus ont tendance à s’élever avec la chaleur.
(3)La zone d’atterrissage des parachutistes doit être visible depuis l’avion en vol.
(4)Specialised Operations.
(5)Standard Operating Procedures.
(6)Acceptable Means of Compliance.
(7)Fédération Française de Parachutisme.
(8)http://www.ffp.asso.fr/online/retex.php
(9)Le rapport d’enquête est disponible sur le site du BEA au lien suivant : www.bea.aero/docspa/2012/f-hm120609/pdf/f-hm120609.pdf