Passage sous la vitesse d'évolution en finale, remise de gaz, déclenchement de la protection grande incidence
Passage sous la vitesse d'évolution en finale, remise de gaz, déclenchement de la protection grande incidence
Déroulement du vol
Note : les éléments suivants sont issus de données extraites de l'enregistreur de maintenance (QAR), de l'enregistrement des communications radio et des témoignages de l'équipage. L'enregistrement phonique (CVR) de l'événement n'était plus disponible lors de la notification de l'événement au BEA.
L'équipage effectue un vol entre Paris Charles de Gaulle et Tel-Aviv Ben Gourion. Les conditions météorologiques à l'arrivée sont CAVOK.
Vers 12 h 49, le contrôleur de Tel-Aviv autorise l'équipage à faire une approche en piste 26 via le point KEREN (voir carte ci-après), selon la procédure RNAV VISUAL.
A environ 10 NM du point DOVER, le contrôleur demande à l'équipage de réduire sa vitesse à la vitesse minimale d'évolution en configuration lisse. L'avion est stable à 4 000 ft. Le pilote automatique, l'auto-poussée et les directeurs de vol sont engagés (AP, A/THR et FD). La vitesse est sélectée à 210 kt. Le contrôle demande à l'équipage de réduire la vitesse en dessous de 180 kt à partir du point DOVER.
Peu avant ce point, l'équipage affiche une altitude de 3 000 ft sur son pupitre de commande (FCU). La descente s'effectue ensuite en mode DES/NAV.
A 12 h 53 min 56, l'avion passe le point KEREN à une vitesse de 180 kt, à une altitude de 3 280 ft(1). La PF indique avoir eu le sentiment d'être « trop haut, trop vite » : elle ne partage pas ses doutes avec le PNF qui n'identifie pas de difficulté particulière. L'avion capture l'altitude de 3 000 ft.
A 12 h 54 min 30, à partir du milieu de la branche vent arrière, l'équipage sélectionne une altitude de 1 000 ft(2) et passe du mode vertical DES à OPEN DESCENT. La poussée des moteurs diminue jusqu'au régime ralenti. Dix secondes plus tard, l'équipage engage le mode « vitesse managée » puis sort les trains et passe en configuration 3. Quelques secondes plus tard, il passe en configuration FULL ce qui entraîne une diminution de la vitesse vers la vitesse d'approche Vapp, soit 138 kt.
A 12 h 56 min 05, avant le dernier virage, à 1 540 ft, l'AP est déconnecté manuellement ; l'A/THR et les FD restent engagés. Le PNF précise qu'il était accaparé par la capture de l'axe d'approche et par la surveillance extérieure d'un avion les précédant en finale.
A 12 h 56 min 10, lors du dernier virage avec une inclinaison de 20° environ, la PF donne un ordre à cabrer pendant environ dix secondes(3). L'analyse des paramètres enregistrés indique que, durant cette phase, les barres des FD donnaient un ordre à piquer pour maintenir la vitesse cible avec les moteurs au ralenti. L'assiette passe de 0,7° à 10°, l'incidence de 5,5° à 10,9° et la vitesse diminue de 135 kt à 122 kt, soit Vapp-16 kt.
L'équipage indique avoir entendu l'alarme « SPEED, SPEED, SPEED » pendant le virage. La PF décide alors d'effectuer une remise de gaz sans l'annoncer au PNF et positionne les manettes de poussée sur le cran TOGA. Pendant deux secondes, le PNF donne un ordre à piquer en contradiction avec les actions de la PF(4), sans appui sur le bouton de prise de commande (take over pushbutton) du mini-manche. Il indique qu'il était toujours dans l'optique de poursuivre l'approche.
Deux secondes plus tard, le mode ALPHA FLOOR s'engage, suivi du mode « TOGA LOCK ».
L'équipage sélectionne la configuration 3 et une altitude de 3 000 ft(5). La vitesse est en augmentation. La PF ramène les manettes de poussée sur CLIMB, sans effet sur la poussée : le mode « TOGA LOCK » est toujours engagé mais l'équipage ne l'a pas identifié. Le PNF mentionne que la PF a rencontré des difficultés pour diminuer la poussée.
Approchant les 2 000 ft, l'équipage sélectionne une altitude de 2 000 ft, réengage l'AP, rentre les trains et sélectionne la configuration 1. Il sélectionne ensuite une vitesse de 188 kt. La vitesse est alors de 208 kt et continue à augmenter. Sous l'effet de son inertie, l'avion atteint une altitude maximale de 2 500 ft.
La vitesse atteint 223 kt. La VFE en configuration 1 est de 215 kt. L'équipage entend l'alarme de survitesse. La PF ramène les manettes de poussée sur IDLE, ce qui désengage l'A/THR et le mode « TOGA LOCK ».
L'équipage réengage l'A/THR, effectue une seconde approche et atterrit sans difficulté.
Enseignements et conclusion
Approche RNAV VISUAL par les équipages Air France
Tel-Aviv est la seule destination du réseau court/moyen courrier de l'exploitant proposant une approche RNAV VISUAL : la pratique de ce type d'approche est donc assez rare chez les équipages de la compagnie.
Au moment de l'événement, le concept d'approche RNAV VISUAL n'était pas décrit dans le TU d'Air France et les équipages n'y étaient pas formés au simulateur.
Application du concept RNAV VISUAL à Tel-Aviv
La mise en œuvre de l'approche RNAV VISUAL de Tel-Aviv s'éloigne du principe ayant présidé à son développement par la FAA aux Etats-Unis. Elle est proposée par le contrôle alors qu'il revient normalement aux seuls équipages des compagnies agréées de la demander.
Evaluation du CRM(6)
Lors du briefing avant le vol, l'équipage avait succinctement préparé l'approche RNAV VISUAL 26 : les spécificités de cette approche n'ont pas été identifiées. La PF avait une faible expérience et n'avait jamais réalisé cette approche.
Le PNF n'a pas anticipé les difficultés de la PF. Il n'a pas proposé de détailler les points-clés de cette approche inusuelle lors du briefing.
A partir du point KEREN, la PF a eu un sentiment d'inconfort dans la conduite du vol : elle n'a pas partagé ses doutes avec le PNF et n'a pas annoncé ses actions. Lors du dernier virage, l'équipage explique qu'il a focalisé son attention sur la trajectoire et ne surveillait plus les paramètres de vol.
Gestion de la descente
Les procédures de l'exploitant préconisent sur la carte d'approche RNAV VISUAL 26 de Tel-Aviv de réaliser l'approche en mode vertical NAV-FPA ou NAV-V/S. Dans ces modes, l'A/THR ajuste la poussée afin de maintenir la vitesse cible.
Pour sa part, l'équipage a choisi d'utiliser le mode OPEN DESCENT. Dans ce mode, les moteurs sont maintenus au régime ralenti et le suivi de la vitesse doit être assuré par le respect des indications des FD.
Se sentant « trop haut, trop vite », la PF a configuré très tôt l'avion en fin de branche vent arrière en configuration FULL et les trains d'atterrissage sortis.
La procédure d'approche à vue standard préconisée par Air France et le constructeur prévoit le passage en configuration 3 puis FULL une fois établi sur le plan, juste avant de s'aligner en finale.
La vitesse étant managée, la vitesse cible est devenue la vitesse d'approche Vapp lors du passage en configuration FULL. Dans cette configuration la marge par rapport au décrochage est plus faible qu'à la vitesse cible « F » en configuration 3. L'avion disposait donc d'une réserve d'énergie plus faible pour effectuer le dernier virage.
Lors de ce dernier virage, la PF a donné un ordre à cabrer pendant dix secondes en contradiction avec les ordres des FD. Le facteur de charge a augmenté ainsi que la vitesse du seuil de la protection ALPHA FLOOR. La vitesse a chuté en dessous de VLS jusqu'au déclenchement de la protection ALPHA FLOOR.
Les pilotes indiquent qu'ils pensaient que l'A/THR ajusterait la poussée pour maintenir la vitesse. L'action à cabrer de la PF sans intervention du PNF montre que l'équipage n'a pas identifié les risques associés au non-suivi des FD en mode OPEN DESCENT.
Gestion de la remise de gaz : difficulté à désengager le TOGA LOCK, survitesse
Lors du déclenchement de l'alarme « SPEED, SPEED, SPEED », le PNF a constaté la faible vitesse. En réaction, pendant quelques instants il a donné un ordre à piquer en contradiction avec les actions à cabrer de la PF.
Lorsque la PF a remis les gaz, elle ne l'a pas annoncé. Le PNF n'avait pas la même conscience de la situation : il pensait continuer l'approche. Aucun des deux pilotes n'a communiqué son projet d'action.
L'engagement du mode ALPHA FLOOR a été quasi simultané avec la décision de remise de gaz par la PF. De ce fait elle n'a pas identifié le verrouillage de la poussée maximale TOGA LOCK, ce qui a dégradé sa conscience de la situation. Ceci peut expliquer la difficulté qu'elle a rencontrée pour gérer la poussée. Le PNF n'a pas identifié le mode ALPHA FLOOR.
L'équipage a ramené les becs et volets en configuration 3 tandis que la vitesse augmentait et il a sélectionné une altitude supérieure à l'altitude publiée de remise de gaz. La PF a ramené les manettes de commande de poussée sur le cran CLIMB, ce qui n'a eu aucun effet sur la poussée du fait du verrouillage de la poussée maximale TOGA LOCK.
A l'approche de l'altitude publiée de remise de gaz, l'équipage l'a sélectionnée au FCU. Il a alors réengagé l'AP, rentré les trains et ramené les becs et volets en position 1. Sous l'effet de la poussée maximale, l'avion est passé en survitesse et l'alarme associée s'est déclenchée. Par une action réflexe, la PF a alors ramené les manettes de commande de poussée sur le cran IDLE, ce qui a désengagé l'A/THR et, de ce fait, le TOGA LOCK.
Incident du 8 avril sur le F-GKXO
L'enquête menée sur l'incident survenu au F-HEPE a mis en évidence un certain nombre d'éléments que l'on retrouve lors de l'incident survenu cinq jours plus tard sur le F-GKXO. Dans les deux cas :
- l'approche a été menée en mode OPEN DESCENT ;
- la conduite du vol s'est effectuée AP OFF, A/THR ON et FD ON ;
- les indications de la carte d'approche concernant les modes NAV-FPA ou NAV-V/S n'ont pas été appliquées ;
- le PNF, en place gauche pour un virage à gauche, ne surveillait pas la vitesse ;
- le PF n'a pas suivi les ordres des FD ;
l'avion a été configuré très tôt en fin de branche vent arrière (en configuration 3 dans le cas du F-GKXO).
Causes
La proposition d'une approche RNAV VISUAL par le contrôle de Tel-Aviv à toutes les compagnies de façon indifférenciée, en s'éloignant du concept initial, l'absence de formation aux approches RNAV VISUAL chez Air France au moment de l'événement et la préparation succincte de l'approche effectuée par l'équipage n'ont pas permis au CdB d'anticiper les difficultés de la PF à réaliser cette approche inusuelle.
De plus, la compréhension insuffisante du fonctionnement de l'A/THR et de l'importance du suivi des FD en mode OPEN DESCENT a laissé penser à l'équipage que l'A/THR assurerait le maintien de la vitesse. L'absence d'identification des risques associés à la sélection de la configuration FULL en fin de branche de vent arrière en mode OPEN DESCENT et une surveillance inadéquate des paramètres de vol ont conduit au passage en dessous de la vitesse d'évolution avant le dernier virage.
Lors du dernier virage, alors que l'avion évoluait avec une faible réserve d'énergie compte tenu de sa configuration, un ordre prolongé à cabrer a conduit au déclenchement de l'alarme basse énergie « SPEED, SPEED, SPEED » puis de la protection ALPHA FLOOR.
Recommandations et actions de sécurité
Rappel : conformément aux dispositions de l'article 17.3 du règlement n° 996/2010 du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 sur les enquêtes et la prévention des accidents et des incidents dans l'aviation civile, une recommandation de sécurité ne constitue en aucun cas une présomption de faute ou de responsabilité dans un accident, un incident grave ou un incident. Les destinataires des recommandations de sécurité rendent compte à l'autorité responsable des enquêtes de sécurité qui les a émises, des mesures prises ou à l'étude pour assurer leur mise en œuvre, dans les conditions prévues par l'article 18 du règlement précité.
Mesures prises par la compagnie
Quelques semaines avant l'incident, le 27 février 2012, le service de la Direction Prévention et Sécurité des Vols a publié un Flash « Sécurité des vols ». Ce document aborde la problématique du « Passage sous vitesse d'évolution en approche à vue » et présente cinq événements ayant donné lieu à un ASR. Il souligne entre autres la nécessité pour le PF de suivre rigoureusement les indications données par les FD ainsi que l'importance de la surveillance des paramètres primaires de vol par le PNF.
A la suite de l'incident, un entraînement au simulateur sur l'approche RNAV VISUAL 26 de Tel-Aviv a débuté en mars 2013. Cet exercice vise à sensibiliser tous les équipages sur les spécificités de cette approche.
D'autre part une plaquette d'information « Info BIT A320 » sur les particularités de l'approche RNAV VISUAL de Tel-Aviv a été diffusée en octobre 2012 à tous les pilotes d'avions de la famille A320 de la compagnie. Une vidéo présentant les spécificités de cette approche a également été réalisée et mise à disposition des pilotes.
L'établissement d'une procédure spécifique aux approches RNAV VISUAL dans la documentation de la compagnie est à l'étude et sa publication est attendue prochainement.
Recommandations de sécurité
Compréhension des automatismes
L'enquête a montré une méconnaissance du fonctionnement de l'A/THR et de l'importance du suivi des FD en mode OPEN DESCENT. La même incompréhension des automatismes se retrouve dans l'événement survenu cinq jours plus tard sur le F-GKXO.
En conséquence et en complément à la campagne de sensibilisation à l'utilisation des automatismes initiée en 2012 par Air France, le BEA recommande que :
- l'AESA, en collaboration avec les autorités nationales de l'aviation civile, s'assure que les programmes de formation et d'entraînements périodiques incluent l'enseignement des risques associés à l'utilisation du mode OPEN DESCENT en approche. [Recommandation FRAN-2013-086]
Application du concept d'approche RNAV-VISUAL
Le concept d'approche RNAV VISUAL est basé sur un agrément demandé à l'autorité de l'aviation civile par chaque compagnie. C'est à l'équipage d'une compagnie ayant reçu cet agrément de demander une approche RNAV VISUAL et au contrôle de l'accorder ou non, selon les conditions du jour. L'enquête a montré qu'à Tel-Aviv c'est le contrôle qui propose ce type d'approche à tous les équipages, de façon indifférenciée.
En conséquence, le BEA recommande que :
- l'OACI définisse dans ses standards et pratiques recommandées un cadre pour les approches RNAV VISUAL ; [Recommandation FRAN-2013-087]
- dans l'attente de la mise en place par l'OACI des dispositions, que l'autorité de l'aviation civile d'Israël s'assure que l'organisme de contrôle de Tel-Aviv n'autorise les approches RNAV VISUAL qu'aux équipages de compagnies qui en ont reçu l'agrément et qui en ont fait préalablement la demande. [Recommandation FRAN-2013-088]
(1)L'altitude de passage au point KEREN mentionnée sur la carte d'approche est de 3 000 ft.
(2)L'altitude de passage au point DALIT mentionnée sur la carte d'approche est de 1 250 ft.
(3)L'enquête n'a pas permis de déterminer la raison pour laquelle la PF a donné un ordre à cabrer.
(4)L'action du PNF n'a pas d'effet sur la trajectoire.
(5)L'altitude de remise de gaz mentionnée sur la carte d'approche est de 2 200 ft.
(6)En l'absence d'enregistrement phonique (CVR), l'évaluation du CRM est basée uniquement sur les témoignages de l'équipage.