Perte de contrôle lors d'une approche interrompue, collision avec le sol, incendie
Perte de contrôle lors d'une approche interrompue, collision avec le sol, incendie
1 - Déroulement du vol
Le pilote décolle vers 8 h 10 de l’aérodrome de Toussus-le-Noble (78) pour un vol IFR à destination de Lyon (69) pour se rendre à un rendez-vous professionnel. A 8 h 52, il contacte le contrôleur de l’approche de Lyon. Il est guidé au radar vers l’aérodrome de Lyon Bron (69) pour une approche Localizer DME pour la piste 16. A 9 h 07, il annonce qu’il est « établi sur le LOC ». Après transfert sur la fréquence de la tour, il est autorisé à atterrir. A 9 h 10, il annonce qu’il remet les gaz. Il reçoit pour instruction du contrôle de garder l’axe de piste(1) et de monter vers 3 000 ft. Le contrôleur lui demande ensuite à deux reprises de confirmer l’interruption de l’approche mais n’obtient pas de réponse. Quelques instants plus tard, le pilote annonce « Là, je suis pas bien du tout ». L’avion entre en collision avec le sol dans un bassin de rétention, situé dans une zone fortement urbanisée, à environ 1 500 mètres en amont du seuil de la piste 16. Il prend feu immédiatement après l’impact.
2 - Renseignements complémentaires
2.1 Renseignements sur le site et l’épave
L’avion a heurté le sol dans un bassin de rétention d’eau qui était vide au moment de l’événement. Aucune trace d’impact n’a été constatée dans la végétation ou les constructions alentour.
Les observations sur l’épave montrent qu’au moment de l’impact la configuration de l’avion était la suivante :
trains d’atterrissage sortis ;
volet droit(2) sorti de 10° (position approche).
Les examens qui ont pu être réalisés sur l’ensemble propulsif, les compensateurs et le Fuel Control Unit (FCU) n’ont pas mis en évidence d’élément susceptible d’expliquer l’événement.
2.2 Conditions météorologiques
A Lyon, les conditions météorologiques étaient anticycloniques avec un air très humide. Le message d’observation de l’aérodrome de Bron de 9 h 00 mentionnait un vent de 2 kt, une visibilité de 4 700 m, de la brume et un ciel couvert à 700 ft, une température de 9 °C égale à celle du point de rosée.
Lors de la finale, le contrôleur a annoncé au pilote un vent calme et un plafond à 800 ft.
L’analyse de Météo France montre que la couche nuageuse s’étendait jusqu’à une hauteur d’environ 2 300 ft (environ 2 950 ft d’altitude).
2.3 Renseignement sur l’aérodrome
Au moment de l’accident, le balisage lumineux de la piste 16 était en haute intensité. La hauteur minimale de descente pour l’approche Localizer DME de la piste 16 est de 360 ft.
2.4 Exploitation des données radar et des communications
Les messages du pilote sont parfaitement audibles et énoncés d’une voix calme. Il n’a pas signalé aux contrôleurs de difficulté ou de problème particulier.
2.5 Service de la navigation aérienne
Le guidage radar effectué par le contrôleur d’approche a conduit le pilote à intercepter l’axe d’approche au voisinage du FAF(3) à l’altitude du début de descente finale. Le manuel d’exploitation du service de la navigation aérienne de Lyon précise que le dernier cap fourni lors du guidage radar doit permettre aux aéronefs d’effectuer sur l’axe un palier d’au moins trente secondes avant d’intercepter le plan de descente nominal.
Ce palier a pour objectif de permettre aux pilotes de préparer l’avion et de stabiliser l’approche avant l’interception du plan de descente finale.
2.6 Renseignements sur le pilote
Le carnet de vol et les documents du pilote ont été détruits par l’incendie. L’enquête n’a pas permis de déterminer précisément son expérience et sa formation aéronautique.
Le pilote, âgé de 54 ans, détenait une licence de pilote privé de 2001 et une qualification de vol aux instruments de 2002 délivrées par les Etats-Unis. Lors de son dernier renouvellement d’aptitude médicale en octobre 2010, il avait déclaré environ 2 000 heures de vol.
Aux Etats-Unis, la référence règlementaire applicable en matière de licences et de qualifications est la FAR(4) 61. Pour proroger sa licence, un pilote doit effectuer tous les 24 mois un vol de vérification des compétences avec un instructeur. Ces vols sont uniquement inscrits dans le carnet de vol et ne sont pas enregistrés par la FAA. La validité de la qualification de vol aux instruments est soumise à des conditions d’expériences récentes de moins de 6 mois ou à un contrôle en vol. L’enquête n’a pas permis de déterminer si la licence du pilote et sa qualification aux instruments étaient en cours de validité au moment de l’accident.
Cette réglementation américaine classe le TBM700 dans la catégorie des monomoteurs terrestres. Elle ne requiert ni qualification de classe TBM ni qualification de type. Trois formations additionnelles sont néanmoins nécessaires :
avion complexe (train rentrant, hélice à pas variable notamment) ;
avion à hautes performances (avion équipé d’un moteur délivrant plus de 200 cv) ;
aéronef pressurisé capable de voler à haute altitude.
Ces conditions s’appliquent également aux avions immatriculés aux Etats-Unis et exploités en France. Les trois formations sont notées dans les carnets de vol et ne sont pas enregistrés par la FAA. L’enquête n’a pas permis de déterminer si le pilote les avait suivies.
Le pilote avait acheté l’avion en septembre 2010. En octobre 2010, il s’était rendu aux Etats-Unis pour suivre une formation spécifique au TBM700. Cette formation avait été interrompue à l’issue du deuxième vol en raison d’aptitudes jugées insatisfaisantes, notamment lors des procédures aux instruments (approches de précision, classique, interrompue etc.). Les témoignages recueillis indiquent que le pilote n’a pas suivi d’autre formation de ce type. Il pilotait régulièrement cet avion en France et à l’étranger dans le cadre de son activité professionnelle.
Le relevé des mouvements du N228CX depuis septembre 2010 indique que le pilote avait atterri à Bron à quatre reprises après avoir effectué des approches de précision ILS pour la piste 34. Trois de ces approches se sont déroulées en conditions de vol à vue.
2.7 Vol du 8 novembre 2011
La veille de l’accident, le pilote avait réalisé un vol de Colmar à Toussus-le-Noble à bord du N228CX dans le cadre de son activité professionnelle. Lors de son arrivée, il avait effectué une approche GNSS pour la piste 07 L. En finale, il avait annoncé deux fois « qu’il n’avait pas visuel sur la piste » et avait interrompu l’approche. Lors d’une seconde tentative, le contrôleur lui avait signalé à deux reprises qu’il était « franchement » à gauche de l’axe, puis lui avait demandé de remettre les gaz. Le pilote avait ensuite réalisé une approche de précision ILS à contre-QFU sur la piste 25 R. Après avoir été autorisé à atterrir, il avait initialement indiqué au contrôleur qu’il n’avait pas la piste en vue, puis avait finalement atterri sans incident. La visibilité était de 4 500 m et la couverture nuageuse morcelée à 800 ft.
2.8 Témoignages
Plusieurs témoins ayant volé avec le pilote ont indiqué qu’il utilisait beaucoup le pilote automatique (PA). Il rencontrait des difficultés de pilotage dans les phases de vol sans PA, notamment lors de circuits d’aérodromes où il avait tendance à prendre des inclinaisons importantes. Enfin, il avait des difficultés à réaliser des approches classiques et à voir la piste. Les témoignages ont également fait état d’un pilote souvent pressé, et dernièrement fatigué et préoccupé par son travail.
2.9 Renseignements sur l’aéronef
Le TBM700 est un avion léger pressurisé, mono-turbine à hautes performances. Il peut accueillir jusqu’à 6 personnes pour une masse maximale certifiée au décollage de 2 984 kg.
L’enquête n’a pas permis de déterminer précisément la masse de l’avion au moment de l’accident. A partir des différents témoignages, elle a été estimée à environ 2 500 kg.
Le N228CX était équipé d’un système de positionnement par satellite et de navigation Garmin GNS 530 et 430. Ce système est associé à un pilote automatique trois axes King KFC-325. Pour une approche ILS le guidage horizontal et vertical peut être réalisé sous PA. Pour des approches de non précision (GNSS ou Localizer DME par exemple), sur la version du GNS 530 équipant le N228CX, seul le guidage horizontal peut se faire sous PA et le pilote doit gérer la descente.
Le manuel de vol fournit les informations suivantes :
Masse 2 500 kg - train d’atterrissage sorti - Volets 10°(5)
Inclinaison 0° 30° 45° 60°
Vitesse de décrochage 66 kt 71 kt 78 kt 93 kt
Vitesse recommandée en approche
Volets rentrés Volets sortis à 10° Volets sortis à 34°
100 Kt 95 kt 80 kt
2.10 Réglementation
Au moment de l’accident, un pilote possédant des titres aéronautiques délivrés par les Etats-Unis pouvait exploiter en France un aéronef immatriculé aux Etats-Unis(6). Aucune formalité préalable ou contrôle du titre n’était effectué par la DGAC car la réglementation nationale(7) ne le prévoyait pas, sauf en cas d’exploitation professionnelle.
Le règlement européen de mise en œuvre (UE) n° 1178/2011 du 3 novembre 2011 fixe notamment(8) les conditions d’acceptation des licences délivrées par les pays tiers. En vertu de dispositions réglementaires de report, les conditions relatives aux opérations non commerciales seront appliquées par la France à compter du 8 avril 2015. A partir de cette date un pilote disposera d’un an pour valider et convertir sa licence en licence européenne (Part FCL PPL(A)). Pour cela Il devra notamment réussir un examen pratique en vol identique à celui demandé pour les qualifications de type ou de classe (qualification de classe TBM par exemple).
La Communauté Européenne et les Etats-Unis ont conclu un accord(9) relatif à la coopération dans le domaine de la réglementation de la sécurité de l’aviation civile. Une annexe à cet accord est en cours de préparation pour définir, de manière dérogatoire au règlement européen, les conditions d’acceptation des licences délivrées par chacun des signataires. A ce jour, il est prévu que cette annexe concerne notamment la reconnaissance de la qualification de vol aux instruments, mais exclut de son champ les qualifications de classe monomoteur à turbine comme la qualification de classe TBM 700.
2.11 Enregistreur de bord sur les aéronefs légers
L’avion n’était pas équipé d’enregistreur de bord. La règlementation ne l’impose pas.
L’emport d’enregistreurs de bord sur les avions à turbomachines de masse maximale certifiée au décollage égale ou inférieure à 5 700 kg et dont le premier certificat de navigabilité individuel a été délivré après le 1er janvier 2016 est recommandée par l’Annexe 6 à la Convention relative à l’aviation civile internationale sur l’exploitation technique des aéronefs. Par ailleurs, plusieurs recommandations de sécurité ont été émises par des autorités d’enquête pour étendre l’emport d’enregistreur à d’autres types d’aéronefs.
Ce sujet est actuellement étudié par l’AESA au travers d’une tâche règlementaire (RMT.0271 et .272 In flight recording for light aircraft)(10).
3 - Enseignements et conclusion
3.1 Scénario
Les conditions anticycloniques ont probablement permis au pilote d’effectuer une grande partie du vol au-dessus de la couche nuageuse dans de bonnes conditions météorologiques. Il a probablement effectué la croisière sous pilote automatique et avait donc une faible charge de travail.
A l’arrivée sur Lyon, le guidage radar directement sur le FAF, sans palier rectiligne, n’a pas permis au pilote de préparer son avion pour la descente finale. Au passage du FAF, il a été confronté à une brusque augmentation de sa charge de travail dans une phase de vol où il éprouvait habituellement des difficultés. L’exploitation des données radar indique qu’il n’a pas été en mesure de gérer simultanément la configuration de l’avion, la stabilisation de la vitesse, le plan de descente (gestion manuelle pour une approche LOC DME). Le pilote a également pu avoir une appréhension à descendre dans la couche nuageuse. Il a débuté la descente finale 1 min 20 s après le passage du FAF et est resté au-dessus du plan de descente nominal. Probablement gêné par l’entrée dans la couche et la perte des références visuelles extérieures, il n’est pas parvenu à stabiliser son approche et a annoncé son intention de remettre les gaz.
Entre l’annonce par le pilote de son intention d’interrompre l’approche et le virage à gauche (points et , voir chapitre 2.4), il s’écoule une vingtaine de secondes sans augmentation d’altitude ou de vitesse. Cela semble indiquer que le pilote n’a pas encore remis les gaz. Lorsqu’il a perdu le contrôle de l’avion (point ) il évoluait à une vitesse sol proche de la vitesse de décrochage. En l’absence d’enregistreur de vol, l’enquête n’a pas permis d’établir les circonstances exactes qui ont conduit à la perte de contrôle.
Lors de l’approche interrompue, la charge de travail est importante. L’absence d’action significative du pilote après son annonce d’interruption de l’approche semble indiquer qu’il était focalisé sur la préparation de la procédure au détriment de la surveillance de la vitesse. Le pilote a perdu le contrôle de l’avion alors qu’il était dans la couche nuageuse. En l’absence de références visuelles extérieures, le pilote a alors pu être victime de désorientation spatiale et n’est pas parvenu à reprendre le contrôle de l’avion.
La formation initiale du pilote sur TBM700, les différents témoignages recueillis et les deux approches interrompues la veille de l’accident montrent que le pilote éprouvait des difficultés de pilotage de l’avion lors des approches classiques aux instruments sans visibilité extérieure. Il avait également l’appréhension de ne pas apercevoir la piste. Ces difficultés ont pu occasionner un état de stress qui a pu altérer ses capacités d’analyse de la situation. La fatigue et des préoccupations professionnelles ont pu également diminuer ses performances.
3.2 Approche non conforme
L’absence d’un segment de trente secondes en palier rectiligne aligné sur l’axe avant le FAF n’est pas propice à la préparation de l’avion et à la stabilisation de l’approche avant l’interception du plan de descente finale.
Ce type de guidage direct sur le FAF est suivi localement par le service de la navigation aérienne de Lyon. Le sujet a notamment été abordé en septembre 2013 dans le cadre d’un groupe local de sécurité piste au cours duquel a été rappelé l’importance du respect de ce palier avant le FAF. Les indicateurs de sécurité mis en place à Lyon ne permettent pas d’identifier systématiquement ce type d’approche. Une réflexion est en cours pour y remédier.
3.3 Réglementation
En raison de la destruction du carnet de vol du pilote lors de l’accident et de l’absence d’enregistrement par la FAA, l’enquête n’a pas permis d’identifier les formations et les vols de vérification des compétences suivis par le pilote. Il n’a également pas été possible de déterminer la validité de sa licence et de sa qualification de vol aux instruments.
Les évolutions réglementaires en cours prévoient que les pilotes établis ou résidant en France et utilisant un aéronef immatriculé aux Etats-Unis devront demander la conversion de leurs titres aéronautiques en licences et qualifications Part FCL auprès de la DGAC. Dès lors, la DGAC sera en mesure de suivre la validité de leurs licences et qualifications. Elle enregistrera notamment les contrôles de compétences (prorogation et renouvellement), ce qui permettra ainsi l’accès à des informations qui, actuellement, ne sont pas toujours disponibles.
3.4 Causes
La perte de contrôle est survenue alors que le pilote évoluait à une vitesse proche de la vitesse de décrochage dans la couche nuageuse, sans référence visuelle extérieure, dans une phase de vol où il éprouvait des difficultés de pilotage. L’enquête n’a pas permis d’établir formellement les raisons de la perte de contrôle de l’avion et de sa non récupération.
(1)Conformément à la procédure publiée.
(2)L’aile gauche a été entièrement détruite par l’incendie, la position de son volet n’a pas pu être déterminée.
(3)Final Approach Fix - Repère d’approche finale.
(4)Federal Aviation Regulation.
(5)Configuration de l’avion au moment de l’accident.
(6)Arrêté du 24 juillet 1991 relatif aux conditions d’utilisation des aéronefs civils en aviation générale, chapitre 4.3.1.1.
(7)Arrêté du 24 juillet 1991 relatif aux conditions d’utilisation des aéronefs civils en aviation générale, chapitre 4.3.1.2.
(8)Article 8 et annexe III.
(9)http://easa.europa.eu/rulemaking/international-cooperation-bilateral-agreements.php.
(10)https://www.easa.europa.eu/system/files/dfu/ToR%20RMT.0271-0272%20%28MDM.073%28a%29%28b%29%29.pdf.