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Quasi-collision en vol entre un avion de type C172 et un avion de chasse

Quasi-collision en vol entre un avion de type C172 et un avion de chasse

Autorité en charge

France - BEA

Progression de l'enquête Cloturée
Progress: 100%

1 - DÉROULEMENT DU VOL

Le Cessna 172 (C172) décolle vers 16 h 00 de l’aérodrome de Périgueux (24) pour un vol circulaire d’une vingtaine de minutes à but pédagogique au profit de deux enfants d’un centre de loisirs et d’un animateur assis en place avant droite. Un briefing du vol a préalablement été réalisé et doit conduire le pilote à survoler des points repérés à proximité de la ville de Périgueux. Après le décollage, le pilote contourne la ville par le sud, en la laissant toujours à l’intérieur du virage à droite, à une vitesse d’environ 80 kt et à une altitude de 1 800 ft. Le vol a lieu en espace aérien de classe G. Le pilote quitte la fréquence AFIS de Périgueux mais reste à l’écoute, compte tenu de sa proximité avec l’aérodrome.

Alors qu’il passe à l’ouest de la ville, il indique qu’il détecte un trafic rapide sur son travers gauche, tourne la tête et regarde devant lui lorsqu’il perçoit un avion face à lui, à la même altitude. Il indique qu’il pousse sur le manche mais le voit passer rapidement dessous en virage à gauche. Il estime la séparation dans le plan horizontal à quelques mètres et au même niveau dans le plan vertical. Il ajoute que lui et ses passagers ont perçu un fort bruit ainsi qu’une violente secousse lors du croisement. Il pensait, à ce moment-là, avoir touché l’autre avion. Il a demandé lors du retour vers l’aérodrome que l’agent AFIS lui confirme que le train d’atterrissage était toujours présent.

 

Ce même après-midi, une patrouille de deux Alphajet nommée « Rivage fox » décolle de Cazaux (33) pour un vol d’instruction à l’assaut en basse altitude (simulation d’attaque d’un objectif) au profit de deux élèves navigateurs. Après un vol en haute altitude jusqu’au sud de Cognac (16) le leader et son équipier adoptent une formation de manoeuvre défensive : ils volent de front à la même altitude, séparés d’environ un mille marin, à une vitesse indiquée d’environ 420 kt. Le profil de la mission les amène à voler sur une trajectoire orientée nord-sud, dans l’ouest de la ville de périgueux en descente du FL215 vers l’altitude de 1 500 ft. L’équipier détecte tardivement le Cessna qui se présente face à lui. Il entreprend une manoeuvre d’évitement par la gauche, signale au leader le croisement et poursuit la mission.

Pendant cette phase du vol, les chasseurs conversaient sur une fréquence UHF.

L’agent AFIS de Périgueux n’avait pas connaissance de la présence des chasseurs qui n’évoluaient pas à proximité immédiate de l’aérodrome.

2 - RENSEIGNEMENTS COMPLÉMENTAIRES

2.1 Les avions

a) Le C172 est de couleur blanche. Il est équipé d’un transpondeur avec alticodeur en fonctionnement au moment du croisement. Le pilote indique que les feux de navigation et les feux à éclat étaient en fonction.

b) Les Alphajet ne disposent ni de radar ni de système ACAS. Leur livrée est de couleur grise et ils ont un marquage école orange. Ils possèdent des feux anticollision, de formation et de navigation réglés sur « fort / clignotants » en position « jour ». Ils étaient équipés d’un système d’enregistrement vidéo positionné derrière le viseur tête haute. Celui qui équipait l’avion croisé a filmé l’événement.

2.2 Titres et expérience

a) Pilote, 70 ans, PPL (A) du 6 mai 2003, 1 600 heures de vol dont 7 dans les trois mois précédents et 50 sur type, qualification au vol de nuit. Certificat médical à jour, sans restriction.

b) Pilote, 35 ans, instructeur, sous-chef de patrouille en 2009, 1 760 heures de vol dont 860 sur Alphajet et 18 dans les 30 jours.

Stagiaire navigateur officier système d’arme, 25 ans, 220 heures de vol dont 60 sur Alphajet et 15 sur type dans les trente derniers jours.

 

2.3 Conditions météorologiques

Estimées sur le site de l’incident grave : vent 200° / 4 kt visibilité supérieure à 10 km, NSC, QNH 1013 hPa.

Position du soleil : azimuth 227°; zénith 46°.

Pas de phénomène significatif pouvant altérer la visibilité.

2.4 Détection pour des aéronefs de vitesses différentes

Comme l’illustre le schéma ci-dessous, en cas de rapprochement entre deux avions de vitesses différentes, le cône de conflit potentiel de l’avion rapide est étroit, alors que celui de l’avion lent couvre tout l’espace. Ainsi pour la détection d’un avion lent, toutes les ressources visuelles du pilote de l’avion rapide peuvent être concentrées dans un secteur angulaire restreint devant lui alors que pour l’avion évoluant à faible vitesse, la zone de surveillance doit être beaucoup plus importante.

 

Cependant, cela nécessite de projeter le regard loin devant afin de détecter un mobile. La mise en oeuvre de techniques particulières de recherche est donc nécessaire.

3 - ENSEIGNEMENTS ET CONCLUSION

3.1 Détection et manoeuvre

a) Le pilote du C172 réalisait un vol à caractère pédagogique au profit d’élèves d’un collège accompagnés par leur professeur. Ce vol revêtait les caractéristiques d’un vol de baptême pour les élèves. On peut supposer que la spécificité du vol, notamment la précision requise en matière de navigation (point de passage vu lors du briefing), a mobilisé une partie importante des ressources du pilote au détriment de la surveillance extérieure. Il avait détecté l’Alphajet qui était sur sa gauche et s‘est souvenu d’un enseignement : « les avions d’armes évoluent rarement seuls et qu’en conséquence la détection d’un trafic devait conduire à la recherche d’un autre avion ». Lorsqu’il a regardé devant lui le second Alphajet était déjà face à lui(1).

 

b) Le pilote de l’Alphajet a vu le C172 qui se présentait devant lui alors que la taille apparente de celui-ci était encore faible et a débuté une manoeuvre d’évitement. Cependant, l’examen du film de la caméra embarquée montre que la détection et la manoeuvre d’évitement ont été trop tardives pour être efficaces en raison de la vitesse de rapprochement importante. La collision a été évitée car les avions étaient séparés verticalement de quelques mètres lors du croisement.

3.2 Communications

a) Le pilote du C172 avait prévu un vol court aux abords de l’aérodrome. Bien qu’ayant quitté la fréquence avec l’agent AFIS il est resté à l’écoute de cette fréquence afin d’anticiper d’éventuelles communications en provenance d’autres aéronefs.

b) La charge de travail des équipages de vols militaires en entraînement opérationnel et leur vitesse d’évolution ne leur permettent pas de signaler leur présence aux contrôleurs des terrains situés à proximité de leur route. De plus, leur vitesse et leurs changements de trajectoire fréquents permettraient difficilement d’anticiper leur position future. Une information de trafic vers les aéronefs civils serait par conséquent peu utile.

 

3.3 Formation

a) Aucune méthode structurée de surveillance et détection de trafic n’est généralement enseignée aux pilotes d’avions légers. Plusieurs méthodes de recherche et détection de trafic ont été évaluées et sont décrites dans le fascicule intitulé « collision avoidance »(2) publié par l’EGAST. Certains principes visant à améliorer la recherche de trafic y sont également rapportés en synthèse. Ce document pourrait être utilisé par les instructeurs en formation de base afin d’étudier les fondements du concept « voir et éviter » et d’en rappeler les limites. De plus, lors d’un rapprochement entre un avion lent et un avion rapide, le premier a moins de chance de détecter le second car sa zone de surveillance est plus importante.

 

b) Les équipages militaires suivent un entraînement méthodique relatif à la détection et au suivi des trafics. Leurs aptitudes physiologiques liées à leur recrutement (acuité visuelle, réflexe) rendent cet entraînement efficace en de nombreuses occasions de par l’essence de leur mission. Une dispersion momentanée de l’attention ou une « tunnélisation » peut toutefois mettre en défaut une méthode de détection uniquement basée sur les sens.

3.4 Causes

La quasi collision est due à la défaillance du concept « voir et éviter » en raison de l’absence de détection mutuelle suffisamment précoce des deux aéronefs en rapprochement relatif très rapide.

L’absence d’équipements de détection embarqués incluant une fonction anti-abordage ou facilitant l’acquisition visuelle est un facteur contributif.

4 - RECOMMANDATION PRÉCÉDEMMENT ÉMISE

Une lettre a été adressée à la DSNA en octobre 2010 :

« le 1er septembre 2010, le pilote du MCR4S immatriculé F-PFDT a déposé un Airprox. Après son décollage de l’aérodrome d’Ambérieu (01), passant 2 300 pieds en montée, cap au nord, en espace aérien non contrôlé, il a été croisé par deux avions militaires de « type Rafale » sans que nul n’ait eu le temps d’exécuter une manoeuvre d’évitement.

L’analyse des trajectographies radar et des éléments enregistrés à bord des avions militaires révèlent des séparations verticale et horizontale de quelques dizaines de mètres tout au plus. Le pilote leader de la patrouille des MASTIF LIMA, en vol d’entraînement à basse altitude, rapporte qu’il n’a pas vu le trafic conflictuel.

 

En octobre 2009, un événement similaire s’était déroulé dans la région de Libourne (33). L’hélicoptère du SAMU avait été croisé de près (0,2 Nm et 300 pieds) par un Alphajet de l’Armée de l’Air. Par le passé, en août 2004 et juillet 2007, deux collisions entre des aéronefs légers et des avions militaires avaient eu pour conséquences la destruction des aéronefs légers et le décès de leurs occupants.

Ce nouvel incident montre le niveau d’actualité de la recommandation émise par le BEA suite aux accidents cités ci-dessus. Le BEA a recommandé que :

Les Etats-majors d’armée, la DGAC et les représentants des usagers de l’aviation légère étudient la possibilité d’installer un moyen de détection embarqué à bord des aéronefs les plus rapides. »

Cette recommandation de sécurité porte le numéro FRAN-2009-011 et est issue du rapport sur les accidents de collisions en vol survenus : www.bea.aero/docspa/2004/63-h040823/pdf/63-h040823.pdf

le 23 août 2004 à Aubusson-d’Auvergne (63) entre l’ULM Sky Ranger identifié 63-RH et le Mirage 2000 N n° 362 immatriculé F-ULCU, et ;

le 12 juillet 2007 à Etrigny (71) entre l’ULM Storm 300 identifié 71-GL et le Mirage 2000 N n° 337 immatriculé F-ULAK

Au jour de la publication du présent rapport, le BEA n’a reçu aucune réponse à cette recommandation. Cet incident démontre une nouvelle fois l’actualité et la pertinence de celle-ci.

 

(1)La limitation à 250 kt au dessous du FL 100 ne s’applique pas aux aéronefs militaires. Ils peuvent évoluer à grande vitesse y compris en dehors des zones basses altitudes prévues à cet effet.

(2)Voir : easa. europa.eu/essi/ egast/wp-content/ uploads/2011/03/ EGAST_Leaflet_ Collision- Avoidance.pdf