Rapprochement dangereux entre un avion commercial au décollage et un avion léger à l'arrivée, sans alarme TCAS
Rapprochement dangereux entre un avion commercial au décollage et un avion léger à l'arrivée, sans alarme TCAS
DEROULEMENT DU VOL
Un ATR 42-300 débute le roulage pour décoller en piste 32 de l'aérodrome de Brive-la-Roche à destination de Paris-Orly. Le commandant de bord, alors PF, effectue les actions avant décollage ainsi que son briefing décollage pendant la phase de roulage. Pendant ce temps, le pilote d'un M20 qui avait décollé de Limoges à destination de Brive s'annonce à cinq milles marins sur un radial 320° de l'aérodrome. L'agent AFIS l'informe(1) qu'un ATR est prêt au décollage. L'équipage de l'ATR entend cet échange radio mais n'y prête pas attention. Il met en puissance puis décolle en respectant la trajectoire de départ aux instruments imposée par la procédure compagnie. Passant 1 200 pieds en montée vers le FL 100 en route vers le VOR de LMG, le CDB lève les yeux et aperçoit le M20 qu'il estime face à lui au même niveau. Il interrompt sa montée et redescend un peu. Le pilote du M20, qui surveille l'ATR, interrompt sa descente. L'équipage de l'ATR voit le M20 passer légèrement au-dessus de lui, sur sa gauche.
Le copilote de l'ATR a indiqué avoir immédiatement regardé son TCAS après le croisement et ne pas y avoir vu le M20. Aucune alarme sonore n'a été entendue dans le poste.
Le CDB de l'ATR s'est entretenu sur la fréquence de Brive avec le pilote du M20. Il lui a fait part de sa surprise et lui a demandé s'il avait un transpondeur. Ce dernier lui a confirmé qu'il avait affiché 7000 depuis qu'il avait quitté la fréquence de Limoges environ trois minutes plus tôt. Le copilote a confirmé qu'après cet échange un identifiant est apparu sur le TCAS derrière la position de l'ATR.
CONCLUSION
L'incident est dû au choix de la stratégie d'espacement mise en œuvre par le pilote de l'avion léger, sans tenir compte des possibles altérations de trajectoires commandées par l'équipage de l'avion commercial.
Ont contribué à l'incident les facteurs suivants :
- un excès de confiance dans le TCAS, une surveillance extérieure tardive et la difficulté d'appliquer le concept « voir et éviter » sur un départ aux instruments de la part de l'équipage de l'ATR ;
- l'absence d'alarme TCAS sans panne avérée des systèmes.
ENSEIGNEMENTS
Vol VFR
La stratégie de séparation du pilote du M20 reposait sur une surveillance constante de l'ATR et un espacement vertical par rapport à ce dernier. Il ne s'attendait pas à une modification de sa trajectoire verticale et pensait que l'équipage avait connaissance de sa position. Cette stratégie s'est révélée défaillante du fait de la difficulté de prédire la trajectoire verticale choisie par le pilote de l'ATR ainsi que la limitation sensorielle consistant à évaluer une pente de montée en ne percevant qu'une assiette.
Vol commercial
La procédure de l'exploitant prévoit dans le paragraphe sur les conditions particulières : « en VMC redoubler la surveillance extérieure ». Elle ne précise pas qui est chargé de cette fonction dans la répartition des tâches. De plus, cette procédure n'est pas connue des pilotes extérieurs à la compagnie.
La plupart des aérodromes desservis par du transport public régulier de passager sont situés en espace aérien contrôlé de classe D où le transpondeur est obligatoire. Tous les aéronefs y sont systématiquement détectés impliquant une grande confiance dans le TCAS(2) de la part des pilotes. Cependant certains aérodromes sont situés en EANC(3). Les pilotes ne s'attendent pas à rencontrer des aéronefs sans transpondeur.
Remarque service d'information
L'agent AFIS a informé le pilote du M20 du décollage imminent de l'ATR en réponse à son premier message. Il explique qu'il pensait avoir informé également l'équipage de l'ATR(4) mais ne l'a pas fait. D'après la réglementation, il n'y était pas obligé dans la mesure où le M20 n'était pas encore dans la circulation d'aérodrome.
RECOMMANDATION DE SECURITE
Rappel : conformément aux dispositions de l'article 17.3 du règlement n° 996/2010 du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 sur les enquêtes et la prévention des accidents et des incidents dans l'aviation civile, une recommandation de sécurité ne constitue en aucun cas une présomption de faute ou de responsabilité dans un accident, un incident grave ou un incident. Les destinataires des recommandations de sécurité rendent compte à l'autorité responsable des enquêtes de sécurité qui les a émises, des mesures prises ou à l'étude pour assurer leur mise en œuvre, dans les conditions prévues par l'article 18 du règlement précité.
Recommandation n° FRAN-2012-001
En EANC où s'applique la règle « voir et éviter »(5), le TCAS constitue un ultime rempart contre les collisions, efficace uniquement lorsque les aéronefs sont équipés d'un transpondeur en fonction. Toutefois, l'emport d'un transpondeur n'est pas obligatoire pour les aéronefs évoluant en régime de vol VFR en EANC (espaces F et G).
En pénétrant dans ces espaces, et notamment aux abords des aérodromes situés en EANC, les pilotes d'avions de transport, en régime IFR, sont exposés au rapprochement d'aéronefs en régime VFR, indétectables par d'autre moyen que le contact visuel. Celui-ci est malaisé du fait des trajectoires VFR libres et de leur faible vitesse d'évolution. Les pilotes d'avions de transport s'appuient sur toute information facilitant l'anticollision dans les portions d'espace les séparant des espaces aériens contrôlés. Les avions en IFR suivent souvent des trajectoires définies, avec des équipages dont la charge de travail à proximité des aérodromes de départ ou d'arrivée ne permet pas une surveillance extérieure efficace.
Les pilotes d'aéronefs légers doivent s'attendre à évoluer en présence d'avions de transport rapides lorsqu'ils approchent d'aérodromes situés en EANC et accueillant du transport public régulier. Ils doivent donc s'assurer qu'ils seront facilement détectables en vérifiant leur transpondeur, s'ils en sont équipés.
La protection des trajectoires d'accès aux aérodromes accueillant du transport public diminuerait le risque de collision entre vols commerciaux en IFR et vols VFR.
En conséquence, le BEA recommande que :
- la DGAC protège les trajectoires IFR des aéronefs, équipés de TCAS, effectuant du transport public, en conditionnant l'accès à ces zones à l'utilisation de la radio et du transpondeur.
(1)Le service d'information de vol d'un aérodrome (AFIS) doit communiquer aux aéronefs « les renseignements en sa possession et portant sur le trafic dont la présence est connue dans la circulation d'aérodrome ou en train d'effectuer une approche aux instruments ». Le M20 n'était pas encore dans la circulation d'aérodrome lorsqu'il a reçu l'information de trafic.
(2)L'emport du TCAS est obligatoire pour les avions de plus de 19 passagers ou 5.7 tonnes effectuant du transport public de passagers.
(3))EANC : Espace Aérien Non Contrôlé.
(4)La connaissance de la présence d'un autre trafic l'aurait vraisemblablement conduit à augmenter sa vigilance extérieure.
(5)Les limites du concept « voir et éviter » sont soulignées dans l'étude du BEA relative aux abordages. En particulier, l'inadéquation de ce concept a été retenue comme cause probable dans un rapport du BEA (f-vg990212).