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Rupture de la liaison moteur-hélice en croisière, collision avec le sol lors de l’atterrissage en campagne

Rupture de la liaison moteur-hélice en croisière, collision avec le sol lors de l’atterrissage en campagne

Autorité en charge

France - BEA

Progression de l'enquête Cloturée
Progress: 100%

1 - DÉROULEMENT DU VOL

Le pilote, accompagné de deux passagers, décolle vers 13 h 00 de l’aérodrome d’Annecy (74) pour un vol local. Il fait route par le col des Aravis et la Mer de Glace pour atteindre le Dôme du Gouter à une altitude d’environ 12 000 ft. Il fait ensuite route, en descente vers 8 500 ft, en direction du Mont Charvin. Entre le Mont Charvin et la ville d’Ugine, alors qu’il est en palier, il entend un claquement sec provenant du moteur et les voyants FADEC(1) A et FADEC B s’allument au tableau de bord. L’indicateur électronique des paramètres moteur indique un régime hélice supérieur à 2 800 tours/minute(2) et une puissance fluctuant entre 0 et 5 %. Le pilote actionne la manette de puissance, sans effet. Il se met en descente à la vitesse de finesse maximale (145 km/h). En raison de son taux de chute et du temps restant (estimé grâce au récepteur GNSS de l’avion), il calcule que l’aérodrome d’Albertville est accessible. Il applique alors les checklists « panne moteur en vol » puis « panne FADEC en vol ». Il ne récupère pas de puissance et les alarmes sont toujours présentes. En arrivant dans la vallée d’Albertville, le pilote se rend compte que le vent est plus fort et qu’il ne pourra pas atteindre l’aérodrome. Il choisit alors un champ dégagé en bordure de la ville mais explique qu’en dernier virage un rabattant lui fait perdre la possibilité d’atteindre le champ qui se trouve derrière une voie ferrée. Ne voulant pas prendre le risque de la traverser à cause de la caténaire, il force l’atterrissage dans un champ de ronces juste avant la voie ferrée, à environ 5,5 km de la piste.

2 - RENSEIGNEMENTS COMPLÉMENTAIRES

2.1 Examen épave

L’épave se trouvait sur un terrain vague à proximité d’un bâtiment d’habitation, d’une voie de chemin de fer et d’un ruisseau. Les constatations suivantes ont été effectuées :

l’ensemble des dommages observés sur la cellule est consécutif à la collision de l’avion avec le sol ;

visuellement, aucun dommage n’est apparent sur le moteur et aucune fuite n’est mise en évidence ;

les niveaux d’huile et de liquide de refroidissement sont corrects ;

aucune pollution n’est notée dans le filtre à carburant ;

les dommages sur l’hélice indiquent que celle-ci développait une puissance faible, voire nulle.

Le moteur et le FADEC ont été prélevés pour des examens complémentaires.

 

2.3 Données FADEC

Le F-HBIT était équipé d’un moteur Thielert Aircraft Engines GmbH TAE125-02-99 et d’une hélice à pas variable entraînée au travers d’un réducteur. Le moteur et le pas de l’hélice sont entièrement contrôlés par un calculateur électronique (FADEC). Le pilote commande la puissance par l’intermédiaire d’une manette unique (monomanette). Le FADEC, qui intègre les mesures de différents capteurs, gère la quantité de carburant injecté et le pas de l’hélice afin d’obtenir la puissance demandée.

Le FADEC possède deux voies (A et B). En temps normal, le moteur est géré par la voie A. En cas de problème sur la voie A, la gestion peut être transférée (automatiquement ou manuellement) à la voie B.

Le calculateur enregistre un rapport d’événements et seize paramètres liés au fonctionnement du moteur pour chacune des deux voies. Lors du déchargement des données, celles relatives au vol de l’accident étaient enregistrées et les données des deux voies étaient similaires.

 

Vers 13 h 41 min 30 s, on note que le régime moteur, qui était stable à environ 3 560 tours/minute jusqu’alors, augmente brutalement vers une valeur d’environ 4 700 tours/minute avec de nombreuses fluctuations(3). Cette valeur est largement supérieure au régime maximal du moteur en fonctionnement normal (environ 3 900 tours/minute). A partir de ce moment, on note également que la consigne de pression carburant donnée par le FADEC varie beaucoup. La pression réelle de carburant dans la rampe d’injection suit la consigne FADEC jusqu’à la fin du vol. Il y a donc du carburant amené au moteur jusqu’à la collision avec le sol (13 h 51 min 30 s soit 10 minutes de plané).

 

2.4 Examen moteur

L’examen du moteur a montré que les dommages sont concentrés au niveau de l’amortisseur de couple et de vibrations.

 

2.4.1 Description de l’amortisseur de couple et de vibrations(4)

L’amortisseur de couple a pour rôle, outre la transmission de rotation du moteur à l’hélice, l’amortissement des à-coups liés au fonctionnement du moteur. Il fonctionne sur le principe d’un embrayage automobile.

Le disque de l’amortisseur entraîne l’hélice via les pignons du réducteur auquel il est relié par l’intermédiaire d’un moyeu cannelé (en gris sur le schéma B ci-après).

 

La cage de l’amortisseur, fixée sur le volant moteur, est entraînée par le moteur. Composée de deux parties, cette cage vient comprimer le disque, l’hélice est alors entraînée. La fixation de la cage au volant moteur se fait par des vis en respectant une valeur de serrage nominale. Huit empilements de rondelles (en rouge sur le schéma C) permettent le réglage de ce serrage, qui est effectué en usine et ne doit pas être modifié par l’utilisateur.

 

L’amortisseur n’est pas ouvert ou inspecté par l’atelier de maintenance. En fin de potentiel(5), il est envoyé en échange standard chez le motoriste.

2.4.2 Observations sur le disque

Le moyeu cannelé du disque de friction est rompu en quatre morceaux. Les logements des ressorts et empilements de rondelles présentent des enfoncements. Sur un moyeu témoin(6), les enfoncements sont centrés sur les surfaces latérales des logements. Sur le moyeu rompu, les enfoncements sont plus profonds et décentrés. Un examen microfractographique des faciès de rupture a montré que le moyeu s’est rompu selon un processus de fissuration progressive en fatigue.

 

2.4.3 Observations sur la cage

Les empilements de rondelles de la cage de l’amortisseur comportent treize rondelles Belleville, dont l’alignement est assuré par un logement et un guide. Tous les empilements du F-HBIT comportent bien treize rondelles. Cependant, un des empilements présente sept rondelles solidaires du guide qui ne sont plus alignées par rapport au reste de l’empilement (six rondelles + logement).

 

Les marquages laissés par cet empilement défaillant sur la face interne de la plaque arrière sont différents de ceux laissés par les autres empilements, marquages consécutifs à l’usure en service selon le constructeur. Aucun marquage permanent n’est observé à l’emplacement où aurait dû se trouver l’empilement défaillant, seul un léger dépôt de poussière indique que l’empilement a initialement été positionné correctement.

 

Ces observations tendent à montrer que l’amortisseur a fonctionné avec cet empilement de rondelles défaillant mais ne permettent pas de déterminer la durée de fonctionnement de l’amortisseur dans cet état.

Selon le constructeur, un mauvais positionnement des rondelles entraîne un déséquilibre des forces dans la cage et un couple plus important en fonctionnement. Le constructeur ajoute cependant qu’il n’a pas connaissance d’évènement similaire. Il précise également qu’il n’y a pas d’outil spécial pour positionner les empilements lors du montage de la cage, l’opérateur devant être très minutieux lors de cette opération. En raison de ces difficultés de montage, ce modèle d’amortisseur a été remplacé depuis début 2011 par un nouveau modèle. Ce remplacement s’effectue lors de l’échange en fin de potentiel.

 

2.5 Gestion de la perte d’entraînement de l’hélice

La vitesse de rotation de l’hélice, indiquée au tableau de bord, est calculée en appliquant un coefficient équivalant au rapport de réduction moteur/hélice (1,69) à la vitesse de rotation mesurée au niveau du vilebrequin. L’indication de puissance est calculée par le FADEC à partir du débit de carburant.

En cas de perte d’entraînement de l’hélice, sa vitesse de rotation diminue et le régime du moteur augmente jusqu’à une certaine limite. Dans un premier temps, le pilote constate donc, sur ses instruments, une indication de survitesse hélice, qui est en réalité une indication de survitesse du moteur. Le FADEC réduit alors le débit carburant pour réguler le régime du moteur. Il observe ensuite une perte de puissance qui correspond à la régulation effectuée par le FADEC.

 

2.6 Historique avion et moteur

Le F-HBIT avait été construit en juin 2008. Il avait effectué trois heures de vol dans le cadre de la délivrance de son certificat de navigabilité. A la suite de la faillite du constructeur APEX avant sa livraison, il avait été stocké jusqu’en août 2012. Il avait ensuite subi une visite de type « 100 heures / 3 ans » au cours de laquelle avaient été appliquées toutes les consignes de navigabilité. Son certificat de navigabilité avait été renouvelé en octobre 2012. L’avion avait ensuite été livré à son propriétaire. A la date de l’accident, l’avion totalisait environ 257 heures de vol depuis neuf. L’amortisseur de couple et de vibrations était celui d’origine.

 

En janvier 2014, une visite de type « 100 heures »(7) avait été effectuée sur le moteur. Aucune anomalie n’avait été trouvée. Depuis cette visite l’avion avait effectué 67 heures de vol.

Le 1er février 2014, un pilote avait signalé une indication de survitesse de l’hélice. L’atelier de maintenance n’avait pas pu reproduire le phénomène et l’avion avait été remis en service.

En avril 2008, le moteur avait subi avec succès les tests au banc chez le motoriste, avant livraison chez APEX. Aucune intervention n’a été reportée sur l’amortisseur de couple et de vibrations depuis la mise en service du moteur.

 

2.7 Performances de plané et choix de la zone d’atterrissage

Au moment de la panne, l’avion se situait à une hauteur d’environ 7 500 ft et à une distance d’environ 18 km par rapport à l’aérodrome d’Albertville(8) .Le manuel de vol de l’avion indique qu’à la vitesse de 145 km/h, la finesse est de 8(9). Le taux de chute est alors d’environ 1 000 ft/min. Sans vent, la distance franchissable était donc de 18,3 km.

Lorsque le pilote s’est mis en descente à la vitesse de finesse maximale, il a noté un taux de chute d’environ 500 ft/min, taux qui était meilleur que celui attendu, et a supposé qu’il lui restait une traction résiduelle. Il a alors estimé son temps de plané à environ 14 minutes alors que le terrain d’Albertville était à moins de 10 minutes de vol d’après son récepteur GNSS. Après l’application des checklists « panne moteur en vol » et « panne FADEC en vol », il a remarqué que le taux de chute avait augmenté vers 800 à 1 000 ft/min.

 

La difficulté de trouver un terrain adapté pour un atterrissage en campagne (pentes fortes des flancs et fond étroit et urbanisé de la vallée que suivait le pilote) ainsi que l’accessibilité apparente de l’aérodrome d’Albertville expliquent le choix du pilote de poursuivre vers l’aérodrome.

 

2.8 Licence et expérience pilote

Le pilote, âgé de 70 ans, était titulaire d’une licence de pilote privé avion depuis 1966 et d’une licence de pilote professionnel depuis 1994. Il totalisait environ 2 000 heures de vol dont 110 heures sur DR400 et 6 heures dans les trois mois précédents. Il totalisait également plus de 9 000 heures en tant que mécanicien navigant avion.

 

2.9 Renseignements météorologiques

Le METAR de 14 h 00 de l’aérodrome d’Annecy indiquait un vent du 220° pour 10 kt. Celui de l’aérodrome de Chambéry indiquait un vent variable pour 3 kt. La carte des vents indiquait un vent de secteur sud / ouest pour 15 kt à 5 000 ft.

3 - CONCLUSION

La perte de traction est due à la rupture du moyeu cannelé qui permet l’entraînement de l’hélice par le moteur. Ce moyeu s’est rompu en fatigue du fait du déséquilibre des forces dans la cage de l’amortisseur résultant du mauvais positionnement d’un empilement de rondelles.

 

Ce mauvais positionnement peut provenir :

d’un serrage insuffisant de la vis proche du repère 8 lors du montage initial chez le motoriste qui permet à l’empilement de bouger dès les premières mises en route ou en service ;

d’un démontage et mauvais remontage pendant la période de stockage de l’avion, effectués sans être mentionnés dans la documentation de maintenance.

Le mauvais positionnement de l’empilement de rondelles ne provoque pas un fonctionnement anormal qui pourrait être observé lors des essais avant livraison ou ressenti ensuite par l’utilisateur tant que le moyeu n’est pas rompu. L’amortisseur étant une pièce qui n’est pas ouverte avant la fin de son potentiel, il n’était pas possible pour l’atelier de maintenance de déceler le montage incorrect.

L’installation d’un nouveau modèle d’amortisseur a résolu le problème d’un montage défectueux.

 

(1)FADEC : Full Authority Digital Engine Control.

(2)Le régime maximum hélice en fonctionnement nominal est de 2300 tours/minute.

(3)Une valeur maximale de 5647 tours/minute est enregistrée à 13 h 42 min 35 sec.

(4)http://www. bea.aero/etudes/ moteurs.thielert/ moteurs.thielert.pdf

(5)300 heures.

(6)Moyeu témoin ayant atteint son potentiel sans défaillance.

(7)Le programme d’entretien prévoit une visite toutes les 100 heures pour le moteur et toutes les 50 heures pour la cellule.

(8)L’aérodrome d’Albertville se situe à une altitude de 1035 ft.

(9)Extrait du supplément au manuel de vol, spécifique au DR400 équipé d’un moteur TAE125-02-99.