Accident de l'Embraer EMB500 immatriculé 9H-FAM exploité par Luxwing survenu le 08/02/2021 à Paris-Le Bourget (93)
Décrochage en courte finale par conditions givrantes,atterrissage dur, rupture des trains principaux et du trainavant, incendie, sortie latérale de piste
Avant la mise en descente à destination, l’équipage a écouté l’ATIS de l’aéroport du Bourget qui indiquait la présence d’un givrage sévère entre 3 000 et 5 000 ft. Il a effectué l’approche en appliquant la procédure normale du constructeur relative à une approche en conditions non givrantes, la vitesse d’approche retenue par l’équipage (Vref de 97 kt) était alors inférieure de 22 kt à la vitesse d’approche en conditions givrantes et était, selon le constructeur, proche de la vitesse de décrochage en cas de contamination par de la glace.
À 3 000 ft, l’équipage a activé le système de dégivrage des ailes et de l’empennage durant 21 s, ce qui correspondait à un cycle de dégivrage complet. L’équipage a indiqué qu’il a observé par la fenêtre du poste de pilotage que la glace accumulée sur les bords d’attaque des ailes s’était brisée. Il a alors désactivé le système de dégivrage et ne l’a plus réactivé. Cette décision reposait uniquement sur l’observation visuelle des bords d’attaque des ailes.
La présence de glace sur les bords d’attaque des ailes et de l’empennage observée après l’accident montre que l’avion a accumulé de la glace lors de la finale. Cela conduit à formuler les hypothèses suivantes :
- soit la luminosité et les nuages ne permettaient pas à l’équipage d’évaluer le degré de contamination réelle des ailes ;
- soit les formes et l’épaisseur de cette accumulation de glace étaient visibles depuis le poste de pilotage et dans ce cas :
- après avoir désactivé le système de dégivrage, l’équipage n’a plus surveillé activement les bords d’attaque afin de s’assurer de l’absence de formation de glace ou,
- l’équipage a constaté cette accumulation de glace mais en a sous-estimé les conséquences.
Dans les conditions du jour, à la masse de l’avion et avec la configuration retenue par l’équipage, l’application de la procédure du constructeur pour une approche en conditions givrantes ne permettait pas l’atterrissage de l’avion sur l’aéroport du Bourget. D’une part, en cas de remise de gaz avec un moteur en panne, le taux de montée de l’avion n’était pas suffisant pour assurer une marge de sécurité suffisante pour le survol des obstacles. D’autre part, les distances de pistes disponibles étaient inférieures à la distance d’atterrissage nécessaire à l’avion. L’équipage a indiqué au BEA qu’il connaissait ces limitations avant même le décollage et qu’il savait que s’il devait activer le système de dégivrage en continu jusqu’à l’atterrissage, il devrait alors se dérouter.
Face à l’impossibilité de répondre aux contraintes opérationnelles en appliquant strictement la procédure, la stratégie retenue par l’équipage était de réaliser l’atterrissage en appliquant les procédures du constructeur relatives à une approche et un atterrissage en conditions non givrantes tout en s’assurant que l’avion n’avait pas accumulé de la glace. Le commandant de bord explique qu’il s’agit d’une adaptation usuelle de la procédure.
La désactivation du système de dégivrage a eu les conséquences suivantes :
- la glace éventuellement accumulée sur le bord d’attaque de l’empennage n’a peut-être pas été totalement brisée ;
- de la glace s’est à nouveau accumulée sur l’avion lors de la fin de l’approche ;
- le système de protection et d’alarme de décrochage SWPS n’était pas configuré pour se déclencher de manière efficace dans les conditions givrantes de l’accident : le bandeau des vitesses affichées sur le PFD n’était pas configuré pour alerter l’équipage qu’il évoluait à une vitesse proche du décrochage et l’alarme sonore de décrochage ainsi que la protection « stick pusher » n’étaient pas configurées pour se déclencher aux incidences adéquates.
Juste avant l’impact, l’avion évoluait dans des plages de vitesses faibles et d’incidences importantes où l’avion était susceptible de décrocher en cas de contamination de sa structure par de la glace. Les données de vol enregistrées ne permettent pas de déterminer le degré de contamination exact, mais la présence de glace sur les bords d’attaque des ailes et de l’empennage observée après l’accident confirme que l’avion avait accumulé de la glace.
Le BEA émet 3 recommandations de sécurité:
- Recommandation FRAN-2023-001 / Amélioration de la conscience de la situation des équipages lors des opérations en conditions givrantes :
Le BEA recommande que :
- considérant que les pénalités de performances d’atterrissage en conditions givrantes des avions de type Embraer EMB-500 Phenom 100 incitent les équipages à appliquer une interprétation déviante et potentiellement dangereuse des procédures prévues par le constructeur pour l’approche et l’atterrissage en conditions givrantes ;
- considérant qu’Embraer met à disposition des opérateurs un système optionnel sur l’EMB‑500 Phenom 100 équipé d’un avionique G1000 qui permet d’améliorer la conscience de la situation des équipages lors de vols en conditions givrantes ;
- considérant que ce système est installé de série sur d’autres versions de l’EMB-500 Phenom 100 équipées de l’avionique G3000 ;
- considérant que ce système, en fournissant une information objective sur la présence de conditions givrantes, est de nature à aider à la décision sur le besoin d’appliquer intégralement et strictement les procédures de vol en conditions givrantes ;
- considérant qu’une faible proportion des Embraer EMB-500 Phenom 100 équipés de l’avionique G1000 en service est pourvue de ce détecteur ;
l’ANAC en coordination avec Embraer évalue l’amélioration en termes de sécurité de l’installation d’un détecteur de glace sur tous les EMB-500 Phenom 100 et le besoin d’imposer cette modification sur tous les Phenom 100 autorisés de vol en conditions givrantes.
- Recommandation FRAN-2023-002 / Prise en compte par les opérateurs des contraintes opérationnelles liées à l’exploitation en conditions givrantes :
Le BEA recommande que :
- considérant l’importance des écarts entre les performances opérationnelles en conditions givrantes et celles en conditions non givrantes de certains aéronefs à réaction relevant des règles de certification CS-23, tels que celui impliqué dans l’accident ;
- considérant que certains exploitants ne prennent pas systématiquement en considération les contraintes opérationnelles liées aux performances en conditions givrantes des avions qu’ils exploitent ;
l’AESA, en coordination avec les autorités nationales de surveillance, sensibilisent, dans une optique de promotion de la sécurité, les exploitants à mieux prendre en considération dès la préparation des vols les performances à l’atterrissage des aéronefs dont les performances en conditions givrantes et en conditions non givrantes présentent des écarts significatifs.
- Recommandation FRAN-2023-003 / Prise en compte des contraintes opérationnelles lors du processus de certification :
Le BEA recommande que :
l’AESA envisage de revoir les critères de certification (en appliquant par exemple des conditions spéciales) quand un aéronef présente des écarts entre ses performances en conditions givrantes et non givrantes tels que cela conduit à des contraintes opérationnelles difficilement gérables par les équipages.
Le suivi de ces recommandations est en cours
Suivi disponible sur SRIS2: cliquez ici
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Rappel : conformément aux dispositions de l’article 17.3 du règlement n° 996/2010 du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 sur les enquêtes et la prévention des accidents et des incidents dans l’aviation civile, une recommandation de sécurité ne constitue en aucun cas une présomption de faute ou de responsabilité dans un accident, un incident grave ou un incident. Les destinataires des recommandations de sécurité rendent compte à l’autorité responsable des enquêtes de sécurité qui les a émises, des mesures prises ou à l’étude pour assurer leur mise en œuvre, dans les conditions prévues par l’article 18 du règlement précité.